Morano, Besson, le gros rouge qui tache... et la gauche qui adore....
Philippe Cohen - Marianne | Mercredi 16 Décembre 2009 à 14:01 | Lu 9641 fois
Martine Aubry exige la régularisation des sans-papiers, Montebourg traite un ministre sarkozyste de pétainiste, Libé tonne contre la droite blague-blanc-beauf. Tout se passe comme si la gauche se jetait à pieds joints dans le redoutable piège de l'identité nationale tendu par les stratèges sarkozystes.
Décrypter
l’actualité consiste à mettre en relation des événements qui,
apparemment, n’ont aucun rapport entre eux. La polémique sur l’identité
nationale réalise un grand chelem médiatique depuis quelques jours.
Nadine Morano confond les petits caïds de banlieue, les zyva qui
exaspèrent les habitants des cités avec les Musulmans qui les haïssent.
Eric Besson juge qu’il n’est rien de plus urgent que d’expulser des
sans-papiers afghans. André Valentin a récemment évoqué « les 10 millions [ d'immigrés ] que l'on paye à rien foutre. »
Et Nicolas Sarkozy nous annonce une action musclée contre le port de la
burqa. Le tout pendant que l’on bat la grosse caisse sur l’identité
nationale.
Cet enchaînement
d’annonces plus ou moins contrôlées doit être mis en relation avec
l’évolution des sondages sur les élections régionales.
Un, l’UMP serait toujours première force politique mais sans réserves de voix pour le second tour. Selon le Canard Enchaîné, François Fillon lui-même qui, il est vrai, sombre rarement dans un optimisme béat, annonce une catastrophe (1) :
Sarkozy otage des hauts fonctionnairES Bachelot, Hortefeux primés. Et les autres alors ?
Deux, le PS en position de garder ses 20 régions, voire même de conquérir les deux détenues par la droite.
Trois, une remontée sensible du Front national.
Conclusion : seule une poussée d’adrénaline publique sur l’immigration,
les sans-papiers et l’insécurité peut redonner une chance à l’UMP en
bloquant la poussée du Front national.
Ce fut exactement la
tactique électorale de Nicolas Sarkozy en 2007 : comme l’avait signalé
Emmanuel Todd, c’est peu après les incidents de la Gare du nord que
Nicolas Sarkozy était passé devant Ségolène Royal dans les sondages. La
politique craignant rarement la répétition, nous assistons sans doute
aujourd’hui à la réitération de cette filouterie. On entendrait presque
le précieux Patrick Buisson, le consultant politique ès peuple de
droite, souffler au président ce qui doit être fait. Du « gros rouge
qui tache », aurait, en tout cas, exigé Sarkozy de ses ministres à
propos du « débat » sur l’identité nationale, info là encore diffusée
par le Canard Enchaîné qui dispose de micros dans tous les bureaux de l'Elysée...
Et
comment réagit l'opposition, et, singulièrement, le PS à cette
offensive perverse ? Elle tombe à pieds joints dans le panneau! Elle
monte au créneau pour exiger la régularisation immédiate des sans-papiers,
quand elle ne traite pas les ministres umpistes de pétainistes.
Remarquez bien qu'ils ne sont pas les seuls. Depuis la parution du
dernier numéro de Marianne, Eric Besson cherche dans tout Paris le nom du Ministre qui l'a comparé à Laval. Ce n'est sans doute pas pour le féliciter...
C'est dans les plus vieux pots...
Mais revenons à la gauche. Au-delà même du débat sur la régulation de
l'immigration, en montant au créneau contre le charter des Afghans ou
pour la régularisation des sans-papiers, en tonnant contre la droite blague-blanc-beauf comme Libération ce matin, la gauche rend un fier service à l'UMP et redonne le sourire aux Buisson et consorts. Pour trois raisons au moins.
D'abord,
polémiquer sur l'identité nationale permet de passer sous silence la
situation sociale. Le même Laurent Joffrin qui s'indigne - non sans
raison mais ce n'est pas le problème - des dérapages racistes, trouve
le moyen de donner quitus à Sarkozy pour sa gestion de la crise! En oubliant le scandaleux amendement adopté par le Parlement pour fiscaliser les indemnités des accidentés du travail. En passant sous silence l'incroyable sortie du Président au Bristol pour remercier les plus riches des donateurs de l'UMP.
En ignorant le nouveau dégrèvement de charges patronales accordé aux
patrons du secteur des transports par camions pour éviter les deux
débats qui s'imposent : celui sur la TVA sociale, reléguée aux
oubliettes, et celui sur le protectionnisme européen. Bref, à l'image
de Martine Aubry et d'une grande partie de la gauche, Libération polarise le débat entre droite et gauche sur un plan sociétal.
Ensuite,
cette erreur donne une nouvelle occasion à Sarkozy de montrer qu'à la
différence d'une gauche qui ne se soucierait que des sans papiers et
des banlieues, la majorité partage les inquiétudes du vrai
peuple, constitué de ceux que l'on appelle les beaufs et qui vivent
au-delà des banlieues dans les zones sub-urbaines où le Front cartonne.
Inquiétudes sur le chômage, où Sarkozy fait le maximum (Vous en doutez?
Même Libé le dit!). Et, bien entendu sur l'insécurité et l'immigration.
Incapable de protéger l'industrie et l'emploi, le gouvernement fait
mine de protéger les travailleurs en limitant les flux migratoires....
Enfin,
une fois que la gauche aura foncé tête baissée dans le piège, une fois
que les ministres sarkozystes auront été traités de pétainistes et
d'invétérés racistes (ce qui ne peut que ramener les voix frontistes
vers l'UMP), Sarkozy-Buisson n'ont plus qu'à faire donner les Fadela Amara ou les Yazid Sabeg
pour riposter : Sarkozy n'a-t-il pas davantage nommé de ministres issus
de l'immigration en trois ans que la gauche en vingt ans ? Et
d'ailleurs, qui laisse Georges Frêche représenter la gauche aux
élections régionales ?
C'est dans les plus vieux pots qu'on fait
les meilleures soupes, disait-on dans le temps. Hélas, depuis vingt
ans, la gêne et confusion de la gauche sur la nation et l'immigration,
après avoir assuré le pain quotidien de la famille Le Pen, est la seule
planche de salut du sarkozysme. Bien sûr, rien ne dit que ça marchera
une fois encore. On ne peut pas toujours attendre le pire d'un peuple
aussi politique que celui de la France. Mais aujourd'hui, Martine
Aubry, Arnaud Montebourg et quelques autres donnent aux sarkozystes de
sérieuses raisons d'espérer. C'est déjà bien trop....
(1) Ce n'est sans doute pas pour rien que les sondages (un tous les deux jours sur le bureau du Président selon le Parisien) ne sortent plus dans la presse : ils sont sans doute tellement mauvais que l'Elysée rechigne à les voir publiés.
Source: MARIANNE
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