La crise a marqué le triomphe du chacun pour soi
Michel Schneider - Psychanalyste | Samedi
16 Janvier 2010 à 14:01
Quel diagnostic
portez-vous sur la crise en cours ?
C’est toujours un peu impudent ou imprudent pour un psychanalyste de se
mêler d’un jugement sur les choses politiques ou les choses économiques.
Après tout, pourquoi est-ce que les économistes ou les politiques
n’auraient pas aussi des choses à dire sur la psychanalyse ?
Peut-être…
Donc les propositions que j’avance ne sont que des suppositions, et je ne
prétends pas du tout détenir la
vérité. Je partirais d’abord de la fin de la crise, des
conséquences psychologiques qu’elle a sur nous tous.
Ce qu’on prend pour une crise uniquement morale, une crise du moral des
Français, ou des autres peuples d’ailleurs, je le vois plutôt du côté
d’une crise de la morale, crise généralisée à tous les comportements des
agents sociaux et économiques.
Au fond, l’effondrement des valeurs boursières ne fait peut-être que
traduire ou entraîner, traduire et entraîner, une crise, un effondrement des
valeurs morales. La crise résulte fondamentalement dans les esprits, ceux des
dirigeants comme des dirigés, de la dominance du narcissisme sur
l’altérité, sur le sens de l’altérité. Il y a plusieurs symptômes
qu’on peut relever : la montée de la dette par exemple…
La montée de la dette ça veut dire quoi ? ça veut dire
qu’on reporte sur les générations futures le coût à payer pour notre
jouissance présente… c’est une négation de l’autre, de ses
droits, du respect qu’on lui doit et c’est là une illustration de
la toute puissance du narcissisme qui dit non seulement « moi d’abord », mais « moi seul et après moi le déluge »… Le déluge est
là…
Effectivement…
Il nous frappe tous et maintenant… Second aspect de cette perte de
l’altérité : l’extension
du calcul économique,
du capitalisme, de la sauvagerie dans les rapports personnels et sociaux, de la
rentabilité dans tous les domaines y compris là où jusqu’à présent elle
n’avait pas sa place, dans les échanges intellectuels, la vie de
l’esprit, la création artistique, la vie affective, avec l’usage de
ces horribles expressions « je gère ma relation » ou « je gère ma rupture »…
Tout cela témoigne de la disparition de ce que depuis l’Antiquité on appelait
tout simplement « la clé d’une
vie bonne et juste ». La fin de la bonté, du désintérêt, du « après vous », le triomphe du « moi d’abord », c’est la jungle selon Hobbes, c’est la lutte de tous
contre tous. Et l’homme devient ou redevient un loup pour
l’homme…
Comment se perd
l’altérité ? Est-ce le résultat d’un long processus ?
C’est un long processus, au terme duquel le bien-être matériel devient le
seul moteur de l’action de chacun et efface ce qu’on appelait le
souci de bien vivre et pas de bien-être qui animait les Hommes et les sociétés
jusqu’ici. Mais il y a d’autres symptômes. Par exemple, je suis
très frappé par la perte du sentiment- de culpabilité. On a vu à
l’occasion de cette crise les principaux responsables se dégager de la
part qu’ils avaient pris à cela.
C’est un phénomène qu’on observe très largement socialement.
Beaucoup de gens aujourd’hui, quand ils vous marchent sur le pied vous
disent « désolé »… Désolé, ça
veut dire qu’on n’est pour rien dans ce qui arrive à l’autre. On est désolé de voir son voisin
perdre sa mère, mais quand on est pour quelque chose dans le mal fait à
l’autre, on doit dire : « je m’excuse » ou plutôt : « excusez-moi
! »
Œdipe avait le sens de la culpabilité. Il l’a payé d’ailleurs,
en se punissant lui-même. Narcisse n’a pas le sens de la culpabilité. Il a
une vague honte quand son image ne lui est pas renvoyée aussi belle qu’il
la regardait dans le miroir. Le troisième aspect, c’est la perte du sens
du réel dans cette crise, le déni de la réalité. Au fond, aujourd’hui, on est dans
un monde – j’inverserais la formule de Saint-Thomas – où
l’on ne croit que ce que l’on ne voit pas, on ne croit qu’au
virtuel. On ne prend pas en compte les conséquences réelles sur les autres
réels des décisions qu’on prend.
Qu’est-ce que le narcissisme au fond ? Le défaut total de
sens moral. On n’est guidé que par ce qui vous fait du bien ou du mal,
sans aucun souci du Bien et du Mal, justement. L’affaire Kerviel est
révélatrice du fait qu’avec les traders, nous avons affaire avec des
jeunes gens complètement immatures, moralement et psycho-lo-gi-quement, qui
jouent des milliards, qui amènent la ruine réelle de personnes réelles, comme
s’ils cliquaient sur une Gameboy d’enfant, comme s’ils étaient
dotés, comme Harry Potter, de pouvoirs omnipotents de faire quelque chose à
partir de rien.
L’altérité
est-elle en rapport avec la responsabilité pour autrui ?
Bien sûr parce qu’en face, il n’y a pas d’autre, il y a des
autres virtuels. C’est un peu comme sur ces sites dont le nom est quand
même assez évocateur : Facebook, Second Life, Meetic… il y a toujours le « je », le « moi », le « moi-je » qui s’entend.
Quand on est sur Facebook, on se regarde soi-même regardé par les autres ! Les sites sociaux ne sont pas une société, ni même une micro-société, les échanges ne sont
pas une communication. Ce n’est plus « Les Français parlent
aux français » de la radio de Londres, c’est « les Narcisses
parlent aux Narcisses » sur Twitter.
Une sorte d’« l’exubérance irrationnelle » pour reprendre
l’expression d’Alan Greenspan s’empare des esprits dans ce
narcissisme contemporain. On ne prend pas en compte les conséquences réelles
sur les autres réels des décisions qu’on prend.
Pensez à cette nouvelle expression à la fois euphémique et stupide : « Y a pas de souci ! ». D’abord, des soucis, il n’y a que ça, pour nos
contemporains (chômage, pouvoir
d’achat, pollution…). Ensuite, elle dit bien : « de l’autre, je me soucie comme d’une guigne ». Nous traversons en solitaire comme le dit Marx « les eaux glacées du
calcul égoïste », mais des soucis des autres, il n’y a pas à se soucier.
Que se
passe-t-il quand un système touche sa limite ?
Il y a un effondrement généralisé de la croyance. La croyance en Dieu, c’est fait
déjà depuis un certain temps. La croyance en l’argent comme valeur unique
ou suprême, c’est en cours.
Et la
consommation…
La consommation est aussi en train d’être défaite par cette crise et on
voit effectivement les épargnants qui n’ont plus confiance dans le
système bancaire, les banques qui n’ont plus confiance les unes envers
les autres, se ruer dans des comportements de repli pour protéger un avenir qui
est devenu très incertain.
Alors la seule chose que je vois se dessiner de positif dans cette crise, la
seule bonne nouvelle finalement, c’est qu’à terme on peut espérer
que chacun prendra davantage en compte, plutôt que la hausse ou la baisse des
taux d’intérêts, l’intérêt de l’autre, l’intérêt de
ceux qui nous entourent, de ceux dont nos décisions dépendent.
Il s’agit
d’un changement radical de comportement. Cela ne s’improvise
pas…
Cela ne peut pas être artificiel, mais quand on voit que dans le miroir de son
narcissisme on ne rencontre finalement que la mort, l’effondrement que le
réel nous signifie, on peut être amené à réfléchir. Il y a bien une butée à un
moment donné. On peut jouer dans le virtuel, on peut jouer dans
l’imaginaire, il y a bien un moment où le réel parle et le réel dit « on ne fait pas de la
richesse sans la produire ».
Donc il est possible que nous comprenions que l’issue n’est pas là
mais ailleurs, dans le fait de se soucier un peu plus des autres, des
conséquences de ses actes, de se sentir un peu plus responsable et non pas
omnipotent, omnipuissant dans son monde intérieur de Narcisse.
Faut-il aussi
que la société retrouve globalement un sens en tant que collectivité ?
Je crois que seul l’État, la croyance en l’État, en ses vertus
paternelles, régulatrices, donneur de lois, donneur de cadres, donneur de
limites, peut compenser le manque que chacun ressent individuellement.
Sortir de « big mother » !
La « big mother », elle s’est
dégonflée, elle a montré
qu’elle ne donnait pas tout à tout le monde et qu’elle ne pouvait
pas tout. Les gens qui attendaient une espèce de profusion de richesses, une
bulle de richesses, sont maintenant confrontés concrètement à eux-mêmes et au
fonctionnement d’une société juste.
La bulle financière évoque pour moi cette espèce de sein maternel dont les
épargnants, entre autres, attendaient de façon illimitée, irrationnelle,
qu’il distribue une richesse qui n’avait pas été produite. On
s’est rendu compte tout d’un coup que ce bon sein maternel
n’existe plus ou en tout cas ne produit plus.
C’était
les 15 % de rentabilité…
Il fallait 15 % de rentabilité… Les gens qui ont cru à Madoff ont cru à cette promesse d’un don
illimité. Ils ont cru aussi que l’argent, la richesse matérielle
assurerait ce que les psychanalystes appellent un « holding »… Pas au sens
financier, où l’on dit d’ailleurs « une holding », je précise.
Ça veut dire
quoi ?
« Holding », selon le psychanalyste anglais Winnicott, consiste à porter
l’enfant, à lui assurer la sécurité dont il a évi-demment besoin, mais
sans l’étouffer. Winnicott affirme que la mère doit être là,
qu’elle doit porter l’enfant mais qu’elle doit être
suffisamment bonne. Ce qui veut dire pas trop bonne. Car sinon l’enfant
ne pourra jamais se détacher, devenir autonome et avoir des désirs, des besoins
qu’il puisse satisfaire avec ses propres ressources.
Voilà le point où nous en sommes. Nous constatons un effondrement de la
croyance dans cette toute puissance du système financier. Tout à coup se
manifeste une perte de crédibilité. La bonne mère s’est avérée pauvre, ne
pouvant plus dispenser ce qu’on attendait d’elle.
Dans ce contexte-là effectivement, le retour ou le recours à l’État comme
figure paternelle en tant qu’il met des limites, instaure des lois et
règles de fonctionnement, notamment dans le monde financier, est une aspiration
très forte. Je pense que c’est par là que passera sans doute le retour
vers des valeurs réelles, au sens de valeurs boursières et de valeurs
affectives. Il y a de la passion dans la politique, il n’y a pas que du
rationnel.
Ce qui est vraiment irrationnel, c’est de croire comme les économistes,
que tout est rationnel, que tout est ratio au sens du calcul, des ratios
bancaires, des ratios boursiers. Il faut prendre en compte ce besoin
irrationnel d’être effectivement aimé, protégé, par un système économique
et social, mais aussi qu’un peu de raison, un peu d’ordre soient
mis dans ces attentes.
Comment
expliquez-vous que, « big mother » ait pu prendre le pouvoir et qu’on ait accepté cette
infantilisation
généralisée ?
C’est un phénomène lent, long, mais à mon avis inéluctable et qui
n’est pas plus imputable à la gauche qu’à la droite. Tous les
hommes politiques quand ils arrivent au pouvoir ont tendance à vouloir faire office
d’airbag !
On sait qu’on va dans le mur, on va dans le mur de la dette, on va dans
le mur de la non-réforme de l’État, on va dans le mur de la crise, mais
au lieu de dire aux Français, comme à des adultes « écoutez voilà où on
va si on ne fait rien, il faut réformer les choses », on leur dit « ne vous inquiétez pas, il y
a un airbag, un bon sein qui va vous empêcher de vous cogner dans le mur ».
Or, ce qu’on attend d’un homme politique c’est qu’il
gouverne, c’est qu’il donne des directions, des orientations à la
voiture qu’il conduit. Il ne faut pas oublier que gouverner signifie
tenir un gouvernail, ce qui implique donner une direction, piloter quelque
chose, ce n’est pas satisfaire tous les besoins de tous à tous moments.
Le rôle de l’État consiste à fixer des orientations, des priorités…
Alors quand on dit « tout est priorité », on dit aussi
qu’il n’y en a aucune. On part dans tous les sens et on n’arrive nulle part. Le rôle de l’État est
de donner des orientations et de s’y tenir. Le vrai problème des Français
c’est qu’ils ont le sentiment, à juste titre, de ne pas être
reconnus, et que l’État ne les connaît pas, ne les reconnaît pas et se
contente de coller sur les plaies sociales un cataplasme de fonds budgétaires
en reportant tout cela sur la dette, c’est-à-dire sur les générations
futures.
Mais, dans le même temps, ce besoin d’être reconnu garde quelque chose
d’infantile. On a besoin que l’autre vous dise que vous existez
pour exister. Il faudrait que les gens se sentent plus responsables de ce
qu’il leur arrive. Je ne dis pas qu’on est responsable de ce qui
nous arrive quand on est licencié pour raison économique, il y a des choses
évidemment dont on n’est pas responsable. Mais dans ce qui nous arrive,
il ne faut jamais perdre de vue qu’en tant que sujet, on demeure en partie
responsable de la situation dans laquelle on se trouve.
Peut-être parce
que la sensation d’être un sujet, au sens fort du terme a un peu
disparu…
Aujourd’hui, on est des individus, des Narcisses qui cherchent- à
affirmer leurs différences par rapport au voisin, qui sont souvent dans
l’envie, dans la haine du groupe voisin ou du groupe supérieur et les
conséquences de la crise c’est la régression infantile, c’est la
dépression, ce sentiment de ne pas être reconnu, de ne pas exister, et
c’est aussi l’agression.
Il y a une montée de la violence sociale pour régler les problèmes catégorie
contre catégorie si bien qu’on n’a plus tout à fait le sentiment
d’avoir affaire à une société dans laquelle les gens sont liés par la
reconnaissance mutuelle de leur place, quelle qu’elle soit. Dans les
sociétés anciennes et jusqu’au siècle dernier, le patron et
l’ouvrier se reconnaissaient comme patron et ouvrier. Aujourd’hui,
plus personne n’ose se dire patron et plus personne ne peut se dire
ouvrier avec la fierté que ça comportait.
Y a-t-il encore
suffisamment de sujets pour qu’on se ressaisisse en tant que sujet ?
Moi je l’espère, je l’espère… Je ne suis pas sûr que la
France et les Français pourront avoir ce sursaut de se dire « bon, qu’est-ce qu’il faut faire ? » et pas « qu’est-ce que
j’attends qu’on fasse
pour moi ? ».
L’élection d’Obama constitue, en revanche, la magnifique
réalisation du vœu de tout un peuple d’en sortir. « Yes we can » c’est la croyance qu’on y peut quelque
chose individuellement et collectivement. Et je crois que se considérer comme
sujet de sa propre existence, même si on est assujetti aux liens sociaux, aux
liens hiérarchiques, aux liens professionnels, ça reste la clé qui nous amènera
à davantage d’autonomie.
Mais seul un État, pouvant dire « je ne peux pas tout,
je peux ça, et ça, et ça, et je le ferais
avec vous », peut aider les gens à se ressaisir d’eux-mêmes
si on peut dire, et à se
responsabiliser en tant que sujets.
Comment percevez-vous cette question en tant que psychanalyste avec vos
patients ?
Les pathologies ont profondément changé depuis Freud et ses cas
d’hystériques, d’obsessionnels, disons de névrosés.
Aujourd’hui, on a d’avantage affaire à des pathologies qu’on appelle
des « états limites », entre la psychose
et la névrose ou à un narcissisme
tellement fort qu’on ne peut plus parler de sujet, on est « je » et « je », pas « je » et « tu ».
Être un sujet, c’est être « je » en face d’un
« tu ». Or
aujourd’hui on a des patients qui considèrent l’autre uniquement comme un prolongement d’eux-mêmes, un reflet, un
miroir, un objet qu’ils peuvent manipuler, qu’ils essayent en tout
cas de manipuler, et pas comme un sujet qui a ses droits, son existence, qui
peut vous manquer, qui n’est pas tout puissant, pas plus que vous ne
l’êtes.
Voilà une cause de la dilution du sens de l’altérité qu’on peut
observer dans les nouvelles pathologies actuelles qui sont plus de
l’ordre de l’addiction à l’autre que de la relation avec ce
qu’elle doit comporte de distance.
L’autre
fait peur…
Un autre est aussi un sujet, qui lui vous considère comme une personne et pas
comme un objet manipulable. Je dois dire que de plus en plus, on voit
effectivement – et c’est vrai dans toutes les catégories sociales,
ce n’est pas du tout le propre des gens qui souffrent et qui viennent
chez le psychanalyste – cette perte totale du sens de ce qu’on doit
à l’autre. Levinas a donné en deux mots la formule du lien, du lien
amoureux, du lien social aussi et du lien politique : « après vous ».
Après vous
Monsieur
Après vous Monsieur. L’intérêt général que constitue cet « après vous » dans la sphère
politique ce n’est pas « je », « moi », « mes avantages acquis » et « je vais les faire valoir
au détriment des avantages des autres » parce qu’un
avantage qu’on gagne, il est
toujours payé par quelqu’un, soit les générations futures, soit
d’autres catégories sociales à travers la fiscalité… mais
c’est de dire « l’intérêt général doit guider les politiques ». Or, malheureusement, on a de plus en plus affaire à des politiques qui se demandent non pas
pourquoi ils sont au pouvoir et pour faire quoi, mais pour combien de
temps… et pour durer…
C’est
vrai aussi dans les entreprises…
Absolument. Les super-bonus, qu’on se sert de façon éhontée quand en même
temps on fait des pertes ou on licencie. Il y a quelque chose de totalement
immoral et qui est insupportable. Je pense que si les élites se comportaient
mieux d’un point de vue moral, les dominés accepteraient mieux les
sacrifices qu’on leur demande.
Autre
observation : la négation des conflits…
On nie le conflit quand on a perdu l’altérité. Il y a une sorte de déni
chez les politiques, que la politique est faite de conflits, de conflits
résolus si les uns et les autres se préoccupent de l’intérêt général et
se reconnaissent comme des adversaires certes, mais aussi des partenaires en
charge de l’intérêt commun.
Le conflit, la considération de l’autre, la reconnaissance de
l’autre, me paraissent plus importants que l’amour au sens passif
de ce terme.
Je ne dirais pas comme Ségolène
Royal : « Aimez-vous les uns les autres » car je ne pense pas que ce soit le remède aux maux de la société. Mais je
dirais : « regardez-vous les uns les autres, comme des autres, envers lesquels vous
avez des droits et aussi des devoirs ».
« Devoir », le mot a quasiment disparu du vocabulaire contemporain. Il
est probable que l’on trouvera une issue à la crise dans un certain
ressaisissement du désintérêt, ou de l’intérêt général, ou de
l’intérêt pour l’autre, et non pas dans la capitalisation de ses
intérêts particuliers.
Le système
libéral ne fonctionnait-il pas en partie en exploitant ce narcissisme que vous
dénoncez?
Bien sûr, il l’a renforcé en introduisant des relations d’intérêt
là où elles n’existaient pas. On peut dire aujourd’hui que le
capitalisme est partout, dans les relations sociales, intellectuelles,
affectives. Chacun se dit « je vais capitaliser
ma relation ».
Je pense que reconnaître que ce système a failli, en tout cas a trouvé ses
limites dans la crise, ce n’est pas renoncer à la grande tradition du
libéralisme français qui n’a jamais impliqué l’absence
d’État, l’absence de règle, l’absence de régulation. Le
capitalisme ce n’est pas la jungle et comme dit Hobbes, « la lutte de tous contre tous ».
Biographie :
Michel Schneider (né en 1944) est un psychanalyste et écrivain français.
Directeur de la danse et de la musique au ministère de la Culture de 1988 à
1991, il a remporté le prix de l'essai Médicis en 2003 pour Morts imaginaires et
le prix Interallié en 2006 pour Marilyn dernières séances
Regards
sur la crise, réflexions pour comprendre la crise… et en sortir, ouvrage
collectif dirigé par Antoine Mercier avec Alain Badiou, Miguel Benasayag, Rémi
Brague, Dany-Robert Dufour, Alain Finkielkraut…, Paris, Éditions Hermann,
2010.