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27 janvier 2010

DSK: son UNIVERS SOCIAL ET POLITIQUE

              
MARS 2002
        Par SERGE HALIMI
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L'UNIVERS SOCIAL ET POLITIQUE    
    DE M. DOMINIQUE STRAUSS-KAHN

 

Flamme bourgeoise, cendre prolétarienne

 

Jean Jaurès - «     C'est nous qui sommes les vrais héritiers du foyer des aïeux     ; nous en avons pris la flamme, vous n'en avez gardé que la cendre.     » -, M. Dominique Strauss-Kahn a emprunté deux mots. Ils servent     de titre à son dernier essai (1).     Mais, une fois passée la page de garde, les rémanences politiques     du tribun socialiste assassiné en 1914 sont particulièrement     rares. Sur ce plan, on accordera volontiers à l'ancien ministre des     finances de M. Lionel Jospin le crédit d'une certaine franchise. Car     son propos théorise la rupture du Parti socialiste     à la fois avec son histoire et avec ce qui constitua longtemps une     fraction significative de sa base sociale. Depuis     vingt ans, la gauche de gouvernement a appliqué des politiques favorables     aux hauts revenus, y compris ceux du capital (2).     Peut-être était-il temps pour cette gauche, pas très à     gauche, de passer enfin par pertes et profits les exploités, après     avoir sacrifié leurs intérêts en accomplissant le «     sale boulot de la droite ».  

Ce n'est donc pas entièrement par hasard que     M. Strauss-Kahn raille ceux de ses camarades qui auraient « toujours     eu peur de ne pas être assez à gauche     ». Son ambition - « bâtir une société pacifiée     et harmonieuse » - lui impose en effet de débarrasser son     parti de la « caricature » présentant ses militants     comme « les ennemis absolus de l'entreprise ». Ici, l'un     des termes choisis dévoile utilement un paysage idéologique     «moderne» en diable : «l'entreprise»     de M. Strauss-Kahn semble mêler indistinctement ouvriers, employés,     cadres et patrons. Et c'est précisément lorsqu'il s'agit d'évoquer     l'harmonie sociale à laquelle il aspire que l'ancien ministre se montre     le plus intéressant. Partant d'un discours ultra convenu sur l'«inadéquation»     de la vieille définition «marxiste» des classes     sociales, qu'il juge exagérément binaire du fait de la «     possession par les salariés - ou du moins par une partie d'entre eux     - d'une fraction de plus en plus importante du capital     - acquise grâce à leur épargne     », M. Strauss-Kahn en vient au fond de l'affaire.     C'est ce « groupe intermédiaire     », ce « corps central prolétaire     mais héritier » (sic) qui doit, selon lui, faire l'objet     de toutes les attentions. Il y a un quart de siècle, M. Valéry     Giscard d'Estaing faisait carillonner la même antienne dans son livre     "Démocratie française" (3).  

 

Trois raisons justifieraient autant d'égards. D'abord, ce «     groupe intermédiaire », défini     par M. Strauss-Kahn avec une imprécision stupéfiante (4),     serait celui que « les évolutions de nos sociétés     malmènent le plus. Cela ne signifie pas évidemment qu'il appartienne     au groupe le plus malheureux ». On le voit, le distinguo est subtil     entre ceux que l'évolution économique déstabilise et     ceux qui ont le malheur pour état permanent. Pourquoi faudrait-il privilégier     les premiers ?

 

On en vient ici au second motif des inclinations du dirigeant socialiste     : « Cette partie de la population, dont le sentiment profond est     qu'elle mène une existence toujours plus dure et toujours plus complexe,     est le socle même sur lequel repose notre démocratie. »     Fondée sur un désir prioritaire de « stabilité     » sociale, l'analyse rappelle alors, volens nolens, les justifications     du suffrage censitaire entendues au cours du XIXe siècle ; elle fait     presque écho aux craintes que les élans populaires suscitaient     chez des penseurs libéraux comme Tocqueville. De fait, pour M. Strauss-Kahn,     « ce sont les membres du groupe intermédiaire, constitué     en immense partie de salariés, avisés, informés et éduqués,     qui forment l'armature de notre société. Ils en assurent la     stabilité, en raison même des objectifs intergénérationnels     qu'ils poursuivent. Ces objectifs reposent sur la transmission à leurs     enfants (a) d'un     patrimoine culturel et éducatif, d'une     part, d'un patrimoine immobilier et quelquefois financier d'autre part, qui     sont les signes de leur attachement à l'"économie     de marché" ».

 

Un tel « attachement » semble donc devenu le garant du     caractère raisonnable de ce groupe intermédiaire. Il est également     décisif sur le plan politique : « Les couches     sociales regroupées dans le terme générique d'"exclus"     ne votent pas pour (la gauche), pour cette raison simple que, le plus souvent,     elles ne votent pas du tout (b)     . Au risque de l'impuissance, (la gauche) se voit dans l'obligation de trouver     à l'intérieur d'autres catégories sociales le soutien     suffisant à sa politique. » On comprend     mieux alors que, face à la présidente du Rassemblement pour     la République, Mme Michèle Alliot-Marie, M. Strauss-Kahn ait     expliqué en janvier dernier : « Vous avez raison de dire que     le souci que nous devons avoir pour les dix ans qui viennent, c'est de nous     occuper de façon très prioritaire de ce qui se passe dans les     couches moyennes de notre pays (c).     »

 

Restent les défavorisés, les vrais prolétaires, désormais     évacués sous le vocable d'«exclus».     Jean Jaurès s'en souciait ; aucun des partis « de gouvernement     » n'en veut plus. Dans le fil de son ouvrage, M. Strauss-Kahn admet     même la méfiance quasiment aristocratique que ces pauvres lui     inspirent, eux qui n'ont à transmettre ni patrimoine immobilier, ni     actifs financiers, ni « attachement à l'économie de     marché » : « Du groupe le plus défavorisé,     on ne peut malheureusement pas toujours attendre une participation sereine     à une démocratie parlementaire. Non pas qu'il se désintéresse     de l'Histoire, mais ses irruptions s'y manifestent parfois dans la violence.     » Les gueux inspireront toujours de la méfiance.

 

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(1) Dominique Strauss-Kahn, La     Flamme et la Cendre, Grasset, 2002, 393 pages, 20 euros.

 

(2)     M. Strauss-Kahn l'avait admis lui-même en précisant en 1997 :     « En quinze ans, la part des salaires     dans le produit intérieur brut français est passée de     68,8 % à 59,9 %. » [cf. l'article du Monde "Relever     les minima sociaux, une exigence économique" en février     1998]. Le ministre socialiste précisait alors que le chômage     français « trouve sa source dans un partage de la valeur ajoutée     trop défavorable aux salariés pour que les entreprises puissent     bénéficier d'une croissance dynamique » (conférence     de presse du 21 juillet 1997). Dans son livre, page 25, il estime à     présent que « la redistribution     est près d'avoir atteint ses limites, en même temps que certains     de ses objectifs »...
 

 

(3) Fayard, 1976.

 

(4) Interrogé par le directeur de la     rédaction du Monde dans une émission de la chaîne câblée     du groupe Bouygues, M. Strauss-Kahn décrivait même ainsi ces     nouveaux «prolétaires» : « Ce sont des     tas de gens comme vous, comme moi. » (LCI, 19 janvier 2002.) En     France, en 2000, 50 % de la population disposaient     de moins de 6 722 francs par mois (1 025 euros).
 

 
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