Expropriations Xynthia : sécurité ou ... futur scandale (d’Etat) ?
Jean-Louis Denier |
Jean-Louis Denier, journaliste subodore, derrière les impératifs de préventions des risques et de protection des personnes, une véritable gabegie de l’argent public...
Tout a été très très vite, une véritable floraison printanière.
Qu’on
en juge ... cinq semaines à peine après le passage de la tempête « Xynthia »
que déjà percent et s’épanouissent les noires corolles des zones
promises à la destruction et à la désertification.
Les données
chiffrées indiquent que 1.510 parcelles de terrain -
toutes bâties ou aménagées en vue d’une occupation humaine - seront
concernées par ce qui prend les allures d’une décision politique et
administrative sans précédent : une expropriation massive visant
littéralement à rayer de la carte plusieurs pans du territoire français
situés en Charente-Maritime et en Vendée, mesure que nos confrères de
l’hebdomadaire « Le Point », peu suspects de gauchisme ou
d’exagération anti-Sarkozy, décrivaient, il y a peu, comme le fait de raser
des quartiers entiers, des lotissements, des campings et des villas.
Emotion + précaution = expropriations à la hâte
Pourquoi cet empressement ?
La réponse
tient en deux points : bilan des pertes et traitement/récupération
politique de l’émotion. Avec sa cinquantaine de morts, Xynthia est passé
de la catégorie « évènement météorologique » à celle de drame
national et, à un drame de cette ampleur, il convenait d’apporter, selon
la méthode d’action/communication de l’actuel locataire de l’Elysée,
une réponse du même calibre. Bref ... à la force des éléments devait
répondre celle du gouvernement, seul apte à dompter vents et eaux mais,
surtout, à les laisser souffler et passer, à l’avenir, dans des endroits
dépourvus de population en vertu du principe de précaution.
Mais
justement, c’est là où le bât blesse.
C’est, en tout cas, ce
que constate certains spécialistes de l’action administrative et du
droit public, droit applicable en l’espèce compte-tenu des décisions
préfectorales de classement en zones dites « noires » et des
futures procédures d’expropriation à lancer.
Ainsi, Bruno Kern,
Avocat spécialiste de la matière et ancien Chargé de mission « urbanisme »
auprès du Médiateur de la République, constate qu’« Il y a quelque
chose de violent sans aucune procédure de concertation. Les préfets
interviennent dans l’urgence et dans l’émotion (...) ». Son
confrère, Me Yves-Noël Gentil, lequel défend les intérêts d’habitants
des villages vendéens de La Faute et de l’Aiguillon, n’est pas en reste
lui qui remarque que « La délimitation des zones n’a pas été
effectuée de façon pertinente et approfondie. ».
Propos
partisans ?
Pas si sûr. Un élu UMP, Jean-Louis Léonard
(député-maire de Châtelaillon-Plage en Charente-Maritime) répète à qui
veut l’entendre que « Il faut une véritable analyse des risques, au
cas par cas, avec, en parallèle pour chaque secteur, une évaluation de
ce que coûteraient les moyens de protection nécessaires. ».
Comme
d’autres, il argue, à cet égard, des dispositions du Code de
l’Environnement, lequel, dans son article L. 561-1, rappelle que « Sans
préjudice des dispositions prévues au 5° de l’article L. 2212-2 et à
l’article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales,
lorsqu’un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d’affaissements
de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d’avalanches
ou de crues torrentielles menace gravement des vies humaines,
l’Etat peut déclarer d’utilité publique l’expropriation par
lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce
risque, dans les conditions prévues par le code de l’expropriation pour
cause d’utilité publique et sous réserve que les moyens de
sauvegarde et de protection des populations s’avèrent plus coûteux que
les indemnités d’expropriation. ».
En tenant ces propos, M. Léonard a sans doute en tête un certain nombre de détails fort intéressants.
Il y a d’abord des faits.
Pendants
des décennies, les digues protégeant les secteurs inondables n’ont été
ni entretenues ni renforcées alors que, pendant le même temps, bien des
élus locaux, des promoteurs et des services administratifs chargés de
contrôler la légalité (en droit + en fait) d’autorisations de lotir
et/ou de construire en zone à risque ne trouvaient rien à redire lorsque
maisons et aménagements divers se multipliaient là où le danger, connu
de tous, existait. A cette époque, l’action et la réaction
administratives et/ou politiques étaient beaucoup moins rapides
qu’aujourd’hui, différence de tempo dans le souci de la précaution et de
la prévention des risques qui, curieusement, ne donne lieu actuellement
à aucun commentaire ni déclaration ou interrogation concernant, par
exemple, la responsabilité passée de tel ou tel décideur ... .
Il
y a ensuite les chiffres.
Personne, pour l’instant, ne
s’intéresse au coût de la réfection ou à celui de la construction
d’ouvrages de protection tels digues, canaux, bassins de rétention etc.
Une seule solution est retenue : acquérir à l’« amiable » ou
exproprier rapidement. L’on ne s’embarrasse pas d’étude ou de
comparaison des coûts.
Or ... la FFSA (Fédération Française des
Sociétés d’Assurance) estime, qu’en moyenne, l’acquisition, négociée ou
forcée, du foncier et du bâti coûtera 250.000 € en moyenne par opération
et, lorsque l’on sait que 1.510 opérations seront nécessaires, l’on
arrive à la coquette somme de ... 377.500.000 €, ce qui
n’est pas rien quand bien même l’intervention des compagnies
d’assurance et du fonds dit « Barnier » - créé en 1995 et
financé par une partie des primes d’assurance habitation – pour les
procédures amiables.
Curieusement, depuis prés d’une décennie, à
Charron, un des villages de Charente-Maritime les plus touchés par le
zonage aux fins de destruction des maisons (destruction prévue de 180
maisons) un projet de reconstruction de 6 km de digues attendait
toujours le déclenchement d’une enquête d’utilité publique par la
Préfecture ... sans doute pour raison d’économies budgétaires.
Quand tout le monde n’est pas « administrativement » inondé de la même façon ...
Mais le plus délirant, dans tout cet ensemble, c’est la manière
selon laquelle les Préfectures appréhendent et qualifient le risque.
L’île
de Ré a été en partie submergée lors de la tempête, l’île se trouvant
alors partagée en trois, reprenant ainsi sa géographie d’il y a quelques
millions d’années. Aucune décision administrative ne
concerne pourtant son habitat et ses habitants alors qu’il y a eu
inondation et évacuation d’urgence de dizaines de Réais dans les heures
qui ont suivi Xynthia.
A quelques kilomètres de là, et sur le
continent, des maisons non inondées sont, elles, et d’autorité, promises
à la destruction.
Tout se passe donc comme si certains avaient
le droit de continuer à être inondés et à résider dans et sur un endroit
prisé alors que d’autres sont considérés comme gens de peu et donc
soumis à expropriation et expulsion, et ce, au mépris du
principe d’égalité qui commande à l’Administration de traiter
de la même façon les personnes se trouvant dans la même situation
de droit et/ou de fait.
Ceci est grave : pareille discrimination
nous éloigne un peu plus de ce que l’on peut attendre – et exiger - des
choix d’un gouvernement dans une République qui se veut un Etat de
Droit.