Le modèle européen supranational et centralisé sert l'intérêt des puissants mais néglige celui des peuples.
Existe-t-il un intérêt général européen?
Laurent Pinsolle - Blogueur associé | Dimanche
18 Juillet 2010
Le modèle européen supranational et centralisé sert l'intérêt des
puissants mais néglige celui des peuples. Sans souveraineté
gouvernementale, les individus n'ont plus qu'à subir en silence la loi
dictée par Bruxelles.
Nous devons donc sans
doute déplacer le débat sur la meilleure manière de défendre l’intérêt
général des peuples européens. Depuis toujours, deux conceptions
s’opposent. La première, centralisée et supranationale, depuis
Bruxelles, est celle qui s’est imposée depuis un quart de siècle et
l’Acte Unique Européen. La deuxième, décentralisée et reposant sur une
coopération volontaire de nations souveraines, le modèle de la CEE
tempéré par le compromis de Luxembourg
La question que nous devons alors nous poser est
« est-ce que le modèle actuel de construction européenne défend bien
l’intérêt général des peuples qui la composent ? » et « est-ce que ce
modèle n’a pas tendance à ne défendre que les intérêts des puissants, au
mépris de tous les autres, y compris contre l’avis démocratique de la
majorité ? ».
Le modèle européen, au service des puissants
L’histoire récente nous enseigne très clairement que le modèle fédéral ne semble défendre que les intérêts des puissants. Il y a quelques mois, le gouvernement français était intervenu pour demander à Renault (dont l’Etat est actionnaire) de ne pas davantage délocaliser la production de la Clio en Turquie. Cette demande vient bien tardivement, quand on sait que les constructeurs français ont délocalisé 50% de leur production en seulement quatre ans.
Cependant, elle montre bien la logique
dogmatiquement néolibérale de la Commission pour laquelle les
Etats, fussent-ils actionnaires, ne sauraient mettre la moindre
contrainte aux décisions des entreprises, même quand ces décisions
impliquent la destruction de milliers d’emplois. Bref, si Bruxelles
défend bien efficacement les intérêts de Renault et de ses actionnaires
(et encore pas tous), on ne peut pas en dire autant des intérêts des
salariés de l’ancienne Régie.
Autre exemple frappant. Les peuples
et les gouvernements européens sont aujourd’hui extrêmement réservés à
l’égard de la culture des OGM. Pourtant, inlassablement, la Commission
européenne cherche à imposer la culture de nouvelles variétés,
utilisant même les dispositions des traités jusqu’à l’absurde puisqu’il
a fallu une majorité qualifiée d’Etats pour empêcher Bruxelles
d’imposer la commercialisation de certains OGM. Là encore, l’Europe
défend bien les intérêts de Monsanto…
Dernier exemple :
l’Europe a imposé la libéralisation des renseignements téléphoniques. Il
y a une dizaine d’années, pour 3,65 francs, on pouvait obtenir trois
numéros en appelant le 12. Aujourd’hui, obtenir un numéro revient
volontiers à 1,5 euros, soit une multiplication par près de 10 du coût
du renseignement, le tout en devant se remémorer des numéros plus
compliqués. Bonjour les bienfaits de la libéralisation ! Là encore,
c’est l’intérêt des entreprises qui a été défendu, et pas celui des
peuples.
En fait,
c’est sans doute le cas de toutes les organisations supranationales.
Dans La Grande
désillusion , Joseph Stiglitz raconte un voyage qu’il avait
fait au Maroc en 1998, alors qu’il travaillait à la Banque Mondiale. Une
ONG avait développé l’élevage de volailles par villageoises. Elle
s’était appuyée sur une entreprise d’Etat qui distribuait les jeunes
poussins. De retour au Maroc quelques mois plus tard, il constata
l’échec de cette initiative. Le FMI était intervenu et avait décrété
qu’il n’était pas du ressort de l’Etat de commercialiser de jeunes
poussins. Malheureusement, le secteur privé n’avait pas pris le relais.
Le livre du prix Nobel d’économie regorge d’exemples plus aberrants les
uns que les autres.
Les travers du modèle supranational
En fait, les instances supranationales souffrent de deux travers majeurs : un dogmatisme néolibéral généralisé et un refus profond de toute remise en cause démocratique. C’est ainsi que nous en sommes arrivés à la monstruosité institutionnelle que représentait l’inscription de « la concurrence libre et non faussée » comme un objectif de l’Union Européenne dans le TCE. Au mieux, cette concurrence peut être un moyen, pour un libéral, d’obtenir un développement économique.
Mais les libéraux
vraiment démocrates auraient du s’opposer à la promotion de « la
concurrence libre et non faussée » comme un objectif puisqu’il revient
au peuple de choisir la direction politique du gouvernement, cette
direction pouvant avoir une vision complètement différente de la
concurrence. En fait, on constate une habitude très malsaine de ces
institutions qui consiste à figer les politiques dans une direction et
les mettre « à l’abri » des choix démocratiques, dans les traités.
Alors
que le projet européen devrait organiser la répartition des pouvoirs et
des coopérations (le contenant), il se soucie de plus en plus de la
définition des politiques (le contenu), qui devrait pourtant être à la
discrétion des dirigeants du moment, et non pas gravées dans le marbre
éternel des traités et défendues par des chevaliers servants (les
commissaires), quelles que soient les orientations politiques des
gouvernements en place dans les pays européens.
Comme le dit bien Frédéric Lordon, « en appeler au gouvernement mondial est le plus sûr moyen d’avoir la paix – entendre – pas de gouvernement du tout », « la mondialisation a précisément eu pour effet de redéployer les marchés à l’échelle mondiale, c’est-à-dire dans un environnement de faible densité institutionnelle ». Les constructions supranationales organisent l’absence de prise des gouvernements sur les politiques au mépris de la volonté des peuples (cf le TCE).
Texte issu de mon intervention au colloque Souveraineté du 18 juin à la Sorbonne.
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