«Il faut empêcher la lapidation de Sakineh»
Sakineh Mohammadi-Ashtiani sur une photo non datée fournie par Amnesty International le 9 juillet 2010 (© AFP photo AFP)
Libération publie un appel d'intellectuels pour sauver cette femme iranienne condamnée à la peine capitale par lapidation par le régime. A lire aussi dans Libération en kiosque et dans notre zone abonnés lundi trois pages sur le sujet.
«Sakineh Mohammadi Ashtiani attendait dans la prison de Tabriz, dans
l’ouest de l’Iran, où elle croupit depuis cinq ans, la réponse à une
demande de réexamen de son cas –prévue, initialement, pour le 15 août.
Son
“crime” (qu’elle n’a avoué, rappelons-le, que sous la torture et qui
consisterait, selon ses accusateurs, à avoir eu deux relations
amoureuses hors mariage) avait déjà été puni par 99 coups de fouet
administrés en présence de l’un de ses deux enfants. Mais voilà qu’une
nouvelle et nébuleuse accusation a débouché, il y a quelques mois, sur
une condamnation à mort –et pas n’importe quelle mort puisqu’il devrait
s’agir d’une mort par lapidation!
«L’opinion internationale,
touchée par l’horreur de cette menace qui pèse sur Sakineh, attendait
avec elle la révision d’un verdict aussi inique que barbare quand, le 11
août au soir, se produisit l’un de ces coups de théâtre dont l’Iran
commence à être coutumière: le régime diffusait à la télévision, dans
une émission de grande écoute, les prétendus “aveux” de la jeune femme
qui, couverte par un tchador noir qui ne laissait voir que son nez et
l’un de ses yeux, tenant une feuille de papier entre les doigts comme si
elle récitait une leçon mal apprise, une voix off en farsi couvrant sa
propre voix qui s’exprimait dans sa langue maternelle, l’azéri,
confessait sa supposée “complicité” dans le meurtre de son mari.
«Son
actuel avocat, Hutan Kian, a affirmé que cette déclaration, contraire à
toute vraisemblance, a été arrachée à nouveau sous la torture, et
rapporte que les enfants de Sakineh sont, quant à eux, “complètement
traumatisés” par l’émission. Outre le fait que l’on peut avoir des
doutes sur l’identité de la femme qui est apparue ce soir-là sur les
écrans, dissimulée sous un tchador étonnamment couvrant, ces propos vont
par ailleurs clairement à l’encontre de ceux rapportés par le Guardian,
la semaine dernière, et où Sakineh expliquait que les autorités
iraniennes l’avaient déjà, en 2006, lavée de cette accusation infâme;
qu’elles mentaient donc sciemment en revenant ainsi sur une charge
abandonnée depuis longtemps et ce dans le seul but de semer la confusion
dans les médias et de les préparer à une exécution à la sauvette; et
que la “justice” ne s’obstinait sur son cas que “parce qu’elle est une
femme” et qu’elle vit “dans un pays où les femmes sont privées de leurs
droits les plus élémentaires”.
«Ne pas fermer les yeux sur une mise en scène aussi grossière»
«Que Sakineh soit privée de ses droits les plus élémentaires, cela
ressort du fait qu’elle n’a même pas eu droit, dans cette affaire, à un
jugement limpide, dans une langue qu’elle puisse comprendre: “Quand le
juge a prononcé la sentence, a-t-elle déclaré au Guardian, je n’ai même
pas réalisé que j’allais être lapidée à mort car j’ignorais ce que
signifiait le mot “rajam”; ils m’ont demandé de signer la sentence, ce
que j’ai fait, et quand je suis retournée en prison et que mes
codétenues m’ont avertie que j’allais être lapidée, je me suis
immédiatement évanouie.” Cela est confirmé par les mésaventures de son
ancien avocat, Mohammad Mostafaei, qui avait attiré l’attention
internationale sur son cas et qui s’est vu, pour cela, menacé
d’emprisonnement (il n’a dû son salut qu’à la fuite en Turquie où il
attend un visa pour la Norvège –mais non sans que son épouse, Fereshteh
Halimi, ait été retenue en otage et emprisonnée). Cela est enfin attesté
par le fait que, nonobstant l’horreur de la chose même, et quitte à
entrer dans les détails les plus scabreux, une mise à mort par
lapidation n’est possible en “droit” iranien que lorsque la famille de
la victime en fait la demande (ce qui, dans le cas de Sakineh et de sa
famille, n’est pas le cas).
«Mais par-delà ces considérations
dans lesquelles nous n’avons ni le goût ni peut-être, désormais,
vraiment le temps d’entrer, il est urgent d’intervenir pour empêcher une
mise à mort dont les observateurs de la scène iranienne ont tout lieu
de redouter l’imminence. Il est urgent de répondre à l’appel des enfants
de Sakineh, Fasride et Sajjad Mohammadi Ashtiani, nous adjurant de ne
pas fermer les yeux sur une mise en scène aussi grossière et de ne pas
laisser leur “cauchemar devenir réalité”. Il est urgent d’exiger des
autorités, pour Sakineh, le renoncement à toute forme d’exécution, une
remise en liberté sans délai et la reconnaissance de son innocence. Des
dizaines de femmes sont, chaque année, en Iran, condamnées au fouet, à
la lapidation ou à d’autres peines dont la barbarie glace, tout autant,
les sangs: il est urgent, au-delà même du cas de Sakineh, que l’ONU
rappelle au régime des mollahs les promesses faites, en 2002 et en 2008,
quant à l’abolition de ce type de châtiments. La vie d’une femme est
jeu. La liberté et la dignité de milliers d’autres se jouent également
là. Et il s’agit enfin de l’honneur d’un grand pays, doté d’une culture
aussi magnifique qu’immémoriale, et qui ne peut se voir résumer, sous
les yeux du monde, au visage ensanglanté, réduit en bouillie, d’une
femme lapidée. Pitié pour Sakineh. Pitié pour l’Iran.
Les premiers signataires
Wole
Soyinka, Bernard-Henri Lévy, Patrick Modiano, Milan Kundera, Jorge
Semprún, Ségolène Royal, Rachida Dati, Simone Veil, Marjane Satrapi,
Juliette Binoche, Mia Farrow Bob Geldof, Taslima Nasrin, Ayaan Hirsi
Ali, Jody Williams, Sussan Deyhim, Yann Richard, Elisabeth Badinter...