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9 avril 2011

Plomb durci: Goldstone dédouane Israël en pleine montée des périls

Dans une tribune publiée par le Washington Post, vendredi 1er avril 2011, le juge Richard Goldstone annonce que de nouveaux éléments apparus après la publication de son rapport fin 2009 (consultable ici, analysé par Mediapart) montrent qu'Israël n'avait pas visé «de manière intentionnelle» des civils. Selon lui, son rapport qui évoquait de possibles crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité commis par les forces israéliennes et des groupes armés palestiniens à Gaza, pendant l'opération «Plomb durci» à Gaza durant l'hiver 2008-2009, aurait été «un document différent» s'il avait été publié aujourd'hui. Faut-il en conclure que Goldstone s'est trompé et que son rapport est désormais caduc?

Le problème, c'est qu'il n'apporte aucun élément tangible à l'appui de cette déclaration, qui permettrait de dédouaner l'armée israélienne. Si, à sa connaissance, des preuves existent bel et bien, pourquoi ne pas les détailler davantage? Et pourquoi n'avoir pas consulté l'équipe de juristes avec lesquels il a élaboré le rapport?  Pourquoi un tel revirement aujourd'hui, plus d'un an et demi après la publication du rapport ? Contacté à plusieurs reprises par Mediapart, Richard Goldstone explique qu'il « souhaiterait pouvoir (nous) apporter (son) aide » pour comprendre les raisons qui l'ont poussé à publier son texte, mais qu'il «ne souhaite plus s'exprimer pour le moment», laissant ainsi la place à toutes les hypothèses et interprétations. Aurait-il subi des «pressions», s'interrogent Roger Cohen, du New York Times. L'éditorialiste entame sa chronique du vendredi 8 avril sur un ton très sarcastique : «Nous avons désormais un nouveau verbe, “to Goldstone”. Son sens :  faire une découverte, puis se rétracter partiellement pour un motif incertain. Etymologie: les actes étranges d'un juriste juif sud-africain respecté sous l'intense pression d'Israël, du congrès américain et des groupes juifs du monde.» 

Pour le diplomate en retraite, Stéphane Hessel, très engagé dans la question palestinienne, l'origine du revirement du juge ne fait guère de doute: «C'est très étrange et regrettable, car enfin il y a des faits, et le bilan des victimes (plus de 1400 morts, dont 700 victimes civiles palestiniennes), qui sont incontestables, confie-t-il à Mediapart. Il n'a d'ailleurs pas le droit de revenir en arrière sans consulter l'équipe qui a rédigé ce rapport avec lui. Je ne peux imaginer ce revirement que comme le résultat de pressions. Moi-même qui ai dit des choses pas beaucoup plus sévères que Goldstone, on me convoque de temps en temps, des gens de bonnes intentions me font déjeuner, me demandant de mettre de l'eau dans mon vin. Il y a la volonté d'un puissant lobby, pour empêcher les gens qui ont quelque chose de sévère à dire, de la dire. Regardez par exemple comme le film Gazastrophe, qui est un excellent documentaire, se trouve l'objet d'interventions musclées dans les salles de cinéma pour empêcher sa projection. Que des Israéliens, et également des juifs français ou américains, amis des Israéliens, se considèrent comme mobilisables pour faire taire ceux qui veulent parler de façon un peu objective de ce qui se passe au Proche-Orient, c'est un fait regrettable, mais que nous sommes obligés de constater.»

Déstabilisés par le texte du Washington Post, plusieurs membres de l'équipe de Richard Goldstone ont confié à Mediapart leur embarras, voire leur colère, et préparent un texte commun, sévère à l'encontre du revirement du juge sud-africain. Trois des rédacteurs du rapport ont choisi par ailleurs de sortir de leur réserve dans la soirée du jeudi 7 avril, pour publier un texte au titre assez explicite : «Le rapport Goldstone appartient désormais au monde».

Sur le fond, la démarche de Richard Goldstone est d'autant plus incompréhensible que le gouvernement israélien a tout fait pour discréditer le rapport depuis sa publication, et que les seules réserves suscitées par le texte sont liées au refus... de ce même gouvernement d'autoriser l'audition des officiers de l'armée par les rapporteurs. Réserves qui n'invalident d'ailleurs en rien les éléments présentés par les rapporteurs, ainsi que les nombreux témoignages récoltés au cours de leur enquête.


 

Un nouveau cycle de violence à Gaza et en Cisjordanie

Si le texte de Goldstone suscite autant de polémiques, c'est qu'il vient à point pour servir la stratégie du gouvernement israélien, qui tente de redorer une image entachée par l'offensive à Gaza, et l'attaque de la «flottille» le 31 mai 2010. «J'appelle l'ONU à annuler immédiatement le rapport Goldstone. Il faut jeter ce rapport dans les poubelles de l'histoire», a ainsi affirmé, triomphant, le premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, le week-end dernier. De son côté, le président Shimon Peres, qui devait rencontrer le secrétaire général de l'ONU vendredi à New York, sollicite l'abrogation du rapport voté devant la commission des droits de l'ONU.

«Je crois que les principaux responsables israéliens, mais sans doute aussi les correspondants en Amérique et en France, se rendent compte que leur position n'est plus tenable, analyse par sa part Stéphane Hessel. Déjà, après la guerre du Liban en 2006, cela allait mal, après “Plomb durci”, encore plus. Après la flottille, ils se sentent de plus en plus contraints à un isolement au moins sur le plan moral. Ils essaient donc de contre-attaquer sur le plan sécuritaire, en expliquant que tout cela n'est fait que pour les déstabiliser, et qu'ils ne peuvent pas l'accepter.»

Avec son texte du 1er avril, Richard Goldstone a réussi ce que ni l'intervention d'Obama auprès de Mahmoud Abbas pour que celui-ci demande le report de l'examen du rapport devant l'ONU, ni l'intense lobbying du gouvernement israélien, n'étaient parvenu à faire : discréditer son propre travail et celui de son équipe au moment même où une réconciliation des deux gouvernements palestiniens de Gaza et de Cisjordanie paraissait enfin envisageable. 

Depuis le début de l'année 2011, les Palestiniens manifestent pour réclamer le retour à l'unité de leur mouvement national, et le rapprochement entre l'Autorité palestinienne et le gouvernement du Hamas. Une rencontre entre Mahmoud Abbas et Ismaël Haniyeh, premier ministre du Hamas, paraissait même toute proche...

Juliano Mer-Khamis
Juliano Mer-Khamis© DR
Et puis, vint le mois de mars :
  • L'assassinat d'une famille des colons d'Itamar à coups de couteau. 
  • L'attentat à Jérusalem (un mort, plus de trente blessés) est venu nourrir les thèses de la droite israélienne sur la nécessité de se protéger coûte que coûte des Palestiniens, malgré le calme qui règne en Cisjordanie depuis la fin de la seconde intifada.
  • Le 4 avril 2011, l'assassinat du très populaire fondateur du Freedom Theatre, le réalisateur israélo-arabe Juliano Mer-Khamis, a jeté un voile noir sur les espoirs de normalisation que les Palestiniens pouvaient nourrir depuis le début de l'année.
  • Dans la nuit de mercredi à jeudi, l'armée israélienne procédait à l'arrestation de plus de cent Palestiniens de la localité d'Awarta, dans le nord de la Cisjordanie, où elle enquête sur le meurtre de la famille de colons.
  • Jeudi, des militaires israéliens accompagnés de deux bulldozers ont également détruit des habitations palestiniennes dans un village agricole en zone placée sous contrôle total d'Israël à l'est de Toubas, dans le nord de la Cisjordanie, selon des sources palestiniennes.
  • Vendredi 8 avril enfin, six Palestiniens, trois civils, dont deux femmes, et trois combattants du Hamas, ont péri dans des raids israéliens dans la bande de Gaza, portant à onze le nombre de Palestiniens tués en 24 heures. L'Onu et l'Union européenne ont appelé à un arrêt immédiat des hostilités, au lendemain d'un tir de missile antichar sur un bus d'écoliers en Israël qui a grièvement blessé un adolescent, suivi de représailles israéliennes à travers la bande de Gaza et de dizaines de tirs de projectiles palestiniens. Dix-huit projectiles ont encore été tirés vendredi depuis la bande de Gaza, sans faire de blessés ni de dégâts majeurs. Certains ont été revendiqués par l'aile militaire du Hamas, malgré l'appel à la trêve lancé par le gouvernement d'Ismaël Haniyeh.

Comment expliquer cette séquence dévastatrice, alors qu'aucune force en Cisjordanie ne donnait raison aux analystes qui prédisaient une troisième Intifada pour 2011, que les habitants de Gaza paraissaient s'éloigner d'un gouvernement Hamas qui réprimait avec force tout lanceur de roquette depuis plusieurs mois (lire ici notre reportage)? Le journaliste d'Haaretz, Gideon Levy, estime que le texte de Goldstone «donne involontairement un feu vert» à une nouvelle opération israélienne à Gaza. Et de fait, le ministre israélien de la défense, Ehoud Barak, a ordonné à l'armée de «réagir rapidement par tous les moyens nécessaires» à Gaza après le tir du missile sur le bus d'écoliers.

Quel sens donner à la frappe attribuée par la presse israélienne à l'armée israélienne, le 5 avril 2011 au Soudan, sur l'une des routes d'approvisionnement en armes pour les groupes armés palestiniens de la bande de Gaza? Ces attentats, bombardements, assassinats, revirement diplomatique et représailles viennent une nouvelle fois enfermer Israéliens et Palestiniens dans un cycle de violence propice aux théories du complot, qui les éloignent des espoirs suscités par les révolutions arabes, autant que d'un possible retour au processus de paix fantôme, en panne depuis plus de dix ans.

 

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