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24 juin 2012

François Hollande a les mains libres. Oui, mais l'esprit ?

Jeudi 21 Juin 2012 à 07:40
Philippe Cohen
Journaliste à Marianne, rédacteur en chef de Marianne2.fr et co-responsable du service politique... En savoir plus sur cet auteur
Les contours de l'accord franco-allemand tel qu'il se dessine dans les comptes rendus des observateurs semble très en-deçà des remèdes requis au plan monétaire, bancaire et industriel par une crise à la fois profonde et durable.

 

G ARIAS/CHINE NOUVELLE/SIPA
G ARIAS/CHINE NOUVELLE/SIPA
Une fois n'est pas coutume, Eric Zemmour et Jean Quatremer se sont fait la même réflexion : si François Hollande a tous les pouvoirs (constitués), il n'a aucun pouvoir (réel). Le premier le déplore, le second s'en réjouit presque, en bon militant du saut en avant fédéral. 
Pour les mêmes raisons, Bernard Guetta, sur France Inter, entrevoyait déjà les prémices du futur  accord franco-allemand tel qu'il devrait être annoncé lors du Sommet européen des 27 et 28 juin 2012. L'Allemagne accepterait un plan de relance inspiré de la proposition de François Hollande, ainsi qu'une Union bancaire permettant de réguler l'activité dans ce secteur, tandis que la France accepterait d'accélérer le processus d'intégration politique. Tout cela reste bien vague, ce qui est logique à une semaine de la réunion.

Notons d'abord la modestie de ce qui sera finalement retenu en ce qui concerne la croissance : si le plan Hollande se propose de mobiliser 120 milliards d'€ dont une partie – 50 milliards – est déjà dans les caisses des fonds structurels européens, le compromis se situera forcément en deçà de ce palier. Et comme les plans de ce genre sont en général étalés sur trois ans, cela signifie que, pour l'année 2013, par exemple, le plan représenterait 0,5% du PIB de la zone euro. Tu parles d'un choc de croissance... Sans compter que la relance des investissements ne paraît pas évidente dans des pays déjà couverts d'autoroutes, de ports et autres infrastructures – grâce aux fonds structurels d'ailleurs.  
Résultat : les moyens mis sur la table sont loin de ceux requis par la profondeur et la durée de la récession actuelle. Et on ne voit pas comme ces 40 petits milliards par an pourraient redonner espoir aux peuples européens, comme l'a suggéré un membre du staff de François Hollande.
Mais surtout, si le compromis prenait cette allure, nous ne ferions, une fois encore, qu'acheter du temps pour repousser de quelques mois un nouveau rebond de la crise des dettes souveraines. 
Pourquoi ? Parce que ledit compromis ne répond à aucune des trois composantes de la crise que nous vivons depuis 2008 : monétaire, bancaire et industrielle. 
La crise monétaire et « Berxelles »
Depuis quatre ans, les pays européens du Sud sont engagés dans un processus infernal que dictent Bruxelles et Berlin (on pourrait dire « Brulin » et « Berxelles », comme il n'y a pas l'épaisseur du papier à cigarette entre l'Allemagne et la Commission européenne). La Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Irlande, privés de la possibilité de dévaluer comme de leur capacité à utiliser l'arme budgétaire, sont conduits vers ce que l'on appelle des « dévaluations internes » pour retrouver de la compétitivité : en gros, des baisses de salaires et de prestations sociales. Mais celles-ci provoquent des chocs récessifs en retour, ce qui conduit « Berxelles » soit à exiger davantage de dévaluation interne (nouvelles coupes sombres), soit à étaler la charge du remboursement de la dette dans le temps.

En réalité, la différence de compétitivité entre le Nord et le Sud impliquerait des rajustements beaucoup plus drastiques : une dévaluation de 40 à 50% en Espagne, au Portugal et en Grèce, et une dévaluation de 25 à 30% en France et en Italie. Que ces réajustements se fassent dans le cadre – plus souhaitable – d'un « euro commun » ou d'un retour aux monnaies nationales permettrait, a contrario du cadre actuel, de répartir la charge sur l'ensemble des acteurs de l'économie et pas seulement sur les salariés. Pour l'heure les dévaluations internes n'ont eu d'effet que sur la rémunération du travail, laissant les autres prix,  comme ceux du logement par exemple, et plus généralement ceux des biens, inchangés ou, au mieux, à peine réduits.
Crise bancaire et destruction créatrice
Voici quatre ans que, de sommet en sommet, les promesses de régulation bancaire semées en 2008 sont enterrées les unes après les autres... On connaît vaguement l'objectif du projet d'Union bancaire défendu par Barroso et que l'Allemagne serait maintenant disposée à étudier : il s'agirait d'éviter les faillites bancaires et de protéger les dépôts des citoyens européens par la création d'un fonds de garantie qui prélèverait chaque année un pourcentage du produit net bancaire, c'est-à-dire le chiffre d'affaires des banques.

Bref, on peut craindre que, le lobby bancaire étant le mieux organisé en Europe, la réforme soit surtout rassurante pour le business des banques. Or, c'est précisément celui-ci qu'il conviendrait de fortement contrôler en séparant non pas seulement les activités de banque de dépôt de celles de banque d'affaires, sous le chapeau d'une holding, mais aussi en scindant les banques en deux parties indépendantes (la spéculation d'un côté, le financement de l'économie réelle de l'autre), comme, d'ailleurs, le programme de François Hollande – contrairement à celui d'Arnaud Montebourg – ne l'a pas prévu. Le fonds de secours de 100 milliards destiné à sauver les banques espagnoles foule au pied allègrement les principes de la concurrence libre et loyale puisqu'on aide, sur fonds publics, des établissements financiers à concurrencer d'autres établissements financiers. 

Là encore, la profondeur de la crise exigerait que l'on séparât radicalement les fonds publics des fonds privés, ce que l'on a soigneusement évité de faire depuis le début de la crise, sauf, peut-être au Royaume-Uni. Comment sortir de la crise de la dette si les Etats garantissent les banques qui, à leur tour, garantissent les obligations d'Etat liées aux dettes souveraines ? En fait, l'action publique devrait à la fois garantir les dépôts des particuliers jusqu'à 100 000 € pour éviter les paniques bancaires et se montrer sans pitié à l'égard des fonds spéculatifs et des banques qui, ayant pris leurs risques, doivent aller à la faillite si elles ont perdu.  Ce double lien – entre argent public et argent privé, d'une part, et entre fonds spéculatifs et banques de dépôts, d'autre part – empêche un fonctionnement sain du système libéral : la « destruction créatrice » qui, pour une fois utile socialement, devrait envoyer au tapis une bonne partie des banquiers européens. 
Crise industrielle : vivement le protectionnisme !
Les membres de l'establishment – y compris, hélas, ceux qui gravitent autour de François Hollande –, se sont empressés de déconnecter deux faits pourtant intrinsèquement liés : la compétitivité et la crise. Dans leurs discours, la compétitivité est un talent abstrait qui ne dépend ni de la monnaie ni du coût du travail. Depuis trente ans qu'ils écrivent sur l'économie, Eric Izraelewicz et consorts continuent de croire que les performances commerciales à l'exportation dépendent de l'intelligence créatrice et de l'innovation. Les pauvres Français seraient donc trop paresseux, trop « conforts » ou pas assez créatifs, ce qui aboutirait à la désindustrialisation actuelle.
La preuve de ce qu'ils avancent ? Nos chers confrères la tiennent en Allemagne, sans se donner la peine de mesurer le caractère très relatif de cette domination industrielle, liée avant tout à l'avantage concurrentiel conquis dans le domaine des équipements industriels, dans un contexte d'investissement des pays émergents et du système de l’euro qui leur a permis d’exporter massivement en Europe, grâce à des salaires en croissance nulle contrairement aux autres pays européens.

En réalité, la désindustrialisation, encore plus grave en France qu'en Italie ou même, toutes proportions gardées, en Grèce, est le résultat d'un triple abandon, dans les années 1990 de la souveraineté monétaire, du souci industriel (l'avenir était alors dans les services, il suffit de relire les articles d'Izraelewicz et consorts dans ces années-là) et de la protection sectorielle, qui a même touché des secteurs stratégiques comme l'agro-alimentaire, les télécoms ou l'énergie.

Faire redémarrer la machine industrielle en France et en Europe implique des mesures de protection sectorielle continentales ou, à défaut, nationales, comme le montre l'exemple de l'énergie solaire. Les Allemands, comme les Français, se font étriller par les industriels chinois, peu respectueux des normes environnementales dont on se gargarise à Bruxelles. Une bonne pédagogie à destination des Allemands consisterait à débattre avec eux de ce qui se passe, par exemple, dans ce secteur. Hélas, ce n'est pas dans les conceptions actuellement à la mode parmi nos technocrates. Il est donc fortement à craindre que le désastre économique qui vient sera la seule pédagogie possible pour tant d'esprits rétifs à la réalité économique factuelle.
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