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19 décembre 2012

Chapitre 2 : Questions juridiques et institutionnelles relatives à la dette illégitime

 

L’Equateur à la croisée des chemins, pour un audit intégral de la dette

18 août 2007 par Virginie de Romanet

 

 

 

Chapitre 2 : Questions juridiques et institutionnelles relatives à la dette illégitime

- A. Le contexte
- B. Une dette équatorienne illégitime
- C. Des dispositions légales non respectées
- D. Des cas emblématiques

  • 1.Prêts odieux à la dictature
  • 2.Prêts inappropriés
  • 3.Conditions inacceptables
  • 4.Conditions violant le droit interne

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A. Le contexte |1|

Comme tous les autres pays en développement la dette extérieure de l’Equateur a explosé au cours des dernières décennies : elle est passée de 241 millions de dollars en 1970 à 16 995 millions en 2006. La dette extérieure par habitant est, quant à elle, passée de 36 dollars en 1970 à 1460 dollars en 2005.

Comment a-t-on pu en arriver là ? A l’instar de tant d’autres pays, notamment en Amérique latine, l’Equateur a connu une longue période de dictature, de 1968 à 1979, qui est responsable d’un accroissement très important de la dette, et ce de manière illégitime comme nous allons le voir. Entre 1970 et 1979 la dette est passée de 241 millions de dollars à 2554 millions de dollars |2|. Pendant cette période, la dette externe publique a été multipliée par 8 alors que la dette externe privée – qui représente un quart de la dette extérieure totale en 1980, l’a été par 37 |3|.

Après le retour à la démocratie, la dette extérieure a continué sa course folle, passant de 2554 millions de dollars en 1979 à 10668 millions de dollars en 1988. La raison en est simple : à partir de la crise de la dette qui a touché l’Equateur à la fin 1982, la hausse des taux d’intérêt (usure) a obligé l’Etat à emprunter pour rembourser des intérêts devenus beaucoup plus importants que prévu. La spirale infernale continue donc, pour le plus grand profit des créanciers qui jusqu’ici ont eu les moyens d’imposer leurs vues à l’Equateur.

La sucrétisation

Il s’est agi d’un mécanisme de socialisation des dettes privées qui a eu lieu en 1983 et 1984. Les dettes privées que l’Etat prendra à sa charge lors de cette « sucrétisation », accroît considérablement la part publique de la dette, avec des dettes finalement illégitimes.
Avec la sucrétisation, l’oligarchie équatorienne et ses alliés internationaux ont réussi à faire en sorte que la dette privée vis-à-vis des créanciers internationaux, qui s’élevait à 1628 millions de dollars, soit assumée par l’Etat, c’est-à-dire par toute la société équatorienne. Cette sucrétisation s’est faite avec un taux de change moyen de 63,55 sucres pour un dollar, ce qui a multiplié énormément les montants à rembourser par rapport au taux de change en vigueur pendant la décennie 1970 qui était de 25 sucres pour 1 dollar.

Entre 1988 et 1992, la dette ayant rendu l’Etat prisonnier des banquiers nationaux et internationaux qui ont pu imposer les mesures économiques qu’ils souhaitaient, des changements juridiques et institutionnels d’inspiration néolibérale ont été introduits pour réduire la taille et les fonctions de l’Etat. Les services collectifs et les entreprises stratégiques ont été transférés au secteur privé, c’est-à-dire aux entreprises multinationales. Les politiques publiques ont été décidées à Washington par le FMI et la Banque mondiale qui ont dicté le contenu des lettres d’intention formellement écrites par les autorités gouvernementales à Quito. La politique fiscale élaborée par le FMI a pour objectif de garantir en priorité le paiement du service de la dette. Afin d’accroître les ressources de l’Etat, non pour libérer le développement mais pour assurer à tout prix les remboursements, le FMI a ainsi imposé le gel des salaires dans la fonction publique en 2002-2003 et le licenciement de 30 000 employés du secteur public |4|.

Lors des crises financières, le FMI intervient avec des crédits stand-by pour venir en aide aux créanciers, notamment ceux ayant réalisé des investissements hasardeux avec la certitude que l’Etat serait alors contraint d’assumer les remboursements même s’il s’agissait d’une dette détenue par une entreprise privée. Le FMI organise donc un transfert massif de capitaux, des populations du pays concerné vers de riches créanciers.

Par l’intermédiaire du mécanisme de la dette, l’Equateur est devenu un exportateur net de capitaux. En effet, entre 1982 et 2006, l’Equateur a payé aux créanciers, au titre du capital et des intérêts, le montant de 119 826 millions de dollars alors qu’il a reçu dans le même temps de nouveaux prêts d’une valeur de 106 268 millions de dollars. On observe donc un transfert net négatif de 13 558 millions de dollars, alors que dans le même temps, la dette est passée de 6 663 millions en 1982 à 16 698 millions en juin 2006. C’est donc toute l’économie équatorienne qui est broyée pour en extraire le substrat permettant de rembourser une dette illégitime, sans égard pour les indicateurs sociaux sur place.

Après l’échange des bons Brady en bons Global au milieu de l’année 2000, la dette externe a diminué de 16.282 millions de dollars à 13.565 millions de dollars. En 2002, on était de nouveau retourné au même niveau d’endettement. En effet en dépit d’une baisse de la dette externe publique de 10%, la dette externe privée avait, pendant la même période, augmenté à nouveau considérablement passant de 2.229 millions de dollars en 2000 à 6.568 millions en août 2006 |5|.

De plus l’absence de crédits publics externes n’a pas entraîné une réelle diminution de la dette publique car cette absence a été compensée par une augmentation de la dette interne (surtout en bons) dont les amortissements sont très élevés car il s’agit de crédits à court terme et aux intérêts plus élevés que ceux de la dette externe |6|.

Entre 1980 et 2000, le Produit intérieur brut (PIB) réel a augmenté de 2% par an, ce qui est insuffisant compte tenu de la démographie. En effet, le PIB par habitant a diminué de 0,5% par an et est quasiment stable depuis 2000. Cela dissimule en fait une aggravation dans la distribution de la richesse, les plus riches en accaparant une part croissante.

Le paiement du service de la dette a représenté, en 2004, 148% des revenus fiscaux pétroliers et, en 2006, 200%. Si cette tendance se maintient, l’Equateur aura épuisé ses réserves pétrolières en 25 ans sans avoir investi cette richesse pour appuyer son propre développement économique, social et environnemental, et ce alors que les dommages causés par l’exploitation pétrolière dans le nord-est du pays sont estimés à 50 fois le montant de la dette du pays. En effet, pendant 30 ans d’exploitation pétrolière intense, la déforestation a détruit des surfaces immenses de forêts, la majeure partie des rivières et des réserves aquifères ont été polluées, la désertification a attaqué les sols et les peuples indigènes de la région ont perdu leur milieu de vie et leur territoire.

B. Une dette équatorienne illégitime

Plusieurs facteurs permettent de définir la dette de l’Equateur comme étant contraire aux intérêts de la Nation, donc illégitime. Le premier d’entre eux n’est pas une spécificité de l’Equateur mais se trouve au centre des relations Nord-Sud. Il s’agit de ce que l’on nomme l’échange inégal qui fait que les pays du Tiers-monde exportent des matières premières brutes et se voient contraints d’importer au prix fort les produits finis transformés au Nord. Dans cette relation inégale, les pays du Sud n’ont guère réussi à se doter d’industries de transformation, les pays du Nord ayant agi avec détermination pour conserver le monopole de ces industries à forte valeur ajoutée.

Pendant la période de dictature, l’intervention de l’Etat dans l’économie a été en apparence renforcée, contrairement aux politiques néolibérales imposées par la violence dans les dictatures du Cône Sud (Argentine, Chili, Uruguay, Brésil). En Equateur, la politique économique menée par les gouvernements de la dictature avait clairement défini des objectifs de développement de l’industrie pétrolière visant à augmenter les recettes de l’Etat |7|. Cependant l’Etat, malgré son renforcement, n’est resté qu’un appendice du secteur privé |8|. En effet, la croissance très importante du PIB (supérieure à 11%) entre 1972 et 1979 n’a pas été utilisée pour mettre fin aux structures de pouvoir existantes |9| et impulser des changements progressistes comme le gouvernement militaire de Velasco Alvarado au Pérou voisin entre 1968 et 1975 l’a tenté par la nationalisation du secteur pétrolier et des secteurs clés de l’économie, la mise en place d’une réforme agraire, le contrôle du change et du commerce extérieur

Après le retour à la démocratie, l’Equateur est rentré, dans un processus de dévaluation de sa monnaie. Cela est a priori surprenant puisqu’un projet de loi visant à revaloriser la monnaie, la faisant passer de 25 sucres pour 1 dollar à 20 sucres pour 1 dollar, avait été rédigé en 1979. Finalement, ce projet de loi n’a pas eu d’écho et c’est le contraire qui s’est produit dès 1980. En effet après la décennie 1970 où le taux de change était resté stable au taux de 25 sucres pour 1 dollar, il est passé au cours de l’année 1980 à 30,56 sucres pour 1 dollar puis à 98,69 sucres pour 1 dollar en 1984.

Depuis le retour à la démocratie, l’exécutif a les pleins pouvoirs sur le plan monétaire et n’a pas à rendre de compte devant le Parlement, puisque l’article 55 de la Constitution de 1979 prévoit que « la forme d’établir la relation de change international de l’unité monétaire – sucre- est fixée et modifiée par le président de la République |10|. » De même l’article 78 prévoit que « la faculté d’autoriser et de contracter des emprunts sont de la responsabilité du président de la République |11|. » De ce fait, les milieux financiers, qui contrôlaient jusqu’en 2006 les décisions du président, avaient la mainmise sur la politique du crédit et de la parité de change.

Le 14 mai 1980, le Conseil monétaire a autorisé l’endettement en dollars pour des dépenses locales, ce qui a donné lieu à des prêts spéculatifs. En effet, le paiement en dollars était conditionné au taux de change à la date du paiement, taux de change qui comme nous venons de le voir plus haut sera marqué par un processus de dévaluation constante au cours des décennies suivantes.

Le Conseil national de développement (CONADE) crée par l’article 89 de la Constitution, n’a eu pendant la période clé, entre mai 1980 et mai 1985, ni loi organique, ni règlement propre ; ce qui ne lui a permis aucun contrôle sur l’endettement agressif. Alors que le plan de développement 1980-1984 comportait 41 projets fondamentaux qui devaient modifier le pays, il n’y a eu aucune nouvelle en 1984 d’une quelconque réalisation. On voit donc par là que c’est le Conseil monétaire qui exerçait véritablement le pouvoir alors que le Conseil national de développement n’était qu’un organisme de façade visant à faire croire à la majorité pauvre que sa situation allait s’améliorer.

Cet endettement et l’imposition, à partir du début des années 1980, des plans d’ajustement structurel, visant à réduire les dépenses consacrées aux secteurs sociaux pour assigner ces montants au service de la dette, étaient contraires au droit national. En effet, l’article 71 de la Constitution de 1979 prévoyait que le budget assigne des ressources importantes pour les services publics et l’exécution de programmes de développement économique et social, dont 30% pour l’éducation et l’éradication de l’analphabétisme |12|.

L’article 137 se réfère à la suprématie de la Constitution. Il dispose que les autres normes de hiérarchie inférieure doivent se conformer à la loi suprême. Les conventions et traités internationaux qui sont en contradiction avec la Constitution ou altèrent ses prescriptions n’ont pas de valeur.

C’est donc en s’appuyant sur l’esprit de cette Constitution que fin avril 2007, le président Correa a expulsé le représentant de la Banque mondiale, Eduardo Somensatto, en représailles d’une décision de la Banque mondiale intervenue en 2005 alors que Rafael Correa était ministre de l’Economie sous le gouvernement de Palacio.

La Banque mondiale avait ainsi bloqué un prêt promis de 100 millions de dollars en raison des réformes du FEIREP (Fonds de stabilisation, d’investissement et de réduction de l’endettement public) qui prévoyaient d’utiliser l’argent du pétrole pour privilégier la politique sociale plutôt que le remboursement de la dette. Correa avait alors préféré démissionner pour protester contre cette ingérence de l’institution internationale.

Correa a laissé 48 heures au représentant de la BM pour justifier la décision prise en 2005. Comme aucune justification n’est venue de la part du représentant, il a donc été expulsé. Le président équatorien a souligné que la suspension du prêt de la part de la Banque mondiale constituait un manque total de respect de la souveraineté du pays. Cette décision montre la détermination du nouveau président et une véritable volonté de changement.

C. Des dispositions légales non respectées

En plus de porter préjudice aux intérêts de la Nation, certaines mesures ont violé le droit national. L’acceptation par le Conseil monétaire le 14 mai 1980 de l’endettement en dollars pour des dépenses locales représente une violation de l’article 7 de la loi de régime monétaire qui prévoit que : « Tout type d’obligations de payer qui doit avoir lieu en Equateur doit se faire en sucres. » Cette violation bénéficiait évidemment au secteur bancaire et cambiste local.

Le 18 juillet 1985, a été approuvé le projet de loi de réforme - à caractère urgent - de la loi du régime monétaire publiée au registre officiel le 22 août 1985 et dont l’article 1, qui remplaçait l’article 7 du régime précédent, prévoyait que : « Les obligations devront être payées en sucres, en effectuant la conversion par rapport au taux de change du marché correspondant à la devise en question et au cours du jour de la date de paiement de l’obligation. »

De ce fait, il existe un laps de temps de 5 ans et 3 mois où la différence du taux de change a été intégrée alors qu’il n’y avait aucune base légale pour cela, ce qui est totalement illégal. En effet, étant donné que ladite opération ne fait pas partie d’un traité international, c’est donc le droit financier interne et les dispositions de la loi qui autorisent l’emprunt externe. Il n’est de ce fait pas admissible d’appliquer par principe la législation étrangère. Ce sont les dispositions prévues par l’article 7 de la loi du régime monétaire - un paiement en sucres à taux d’intérêt fixe - qui auraient dû être appliquées.

Différents secteurs ont participé à l’endettement en dollars pour des dépenses locales. Ce fut le cas du secteur bancaire et cambiste local et des secteurs bancaire international et off-shore. Il en fut de même pour les clients du secteur bancaire et cambiste local, qui ont reçu des prêts en dollars pour soit des dépenses locales et des motifs non financiers, soit pour de la spéculation financière. Ca a été également le cas de la Banque centrale d’Equateur qui a généré des crédits internes en sucres par l’intermédiaire du secteur bancaire et cambiste local.

D. Des cas emblématiques

1. PRETS ODIEUX A LA DICTATURE

Les régimes qui ont gouverné l’Equateur entre 1968 et 1979 ont été des régimes dictatoriaux qui ont très fortement endetté le pays comme nous l’avons mentionné au début du chapitre 2.

Durant la période de l’essor pétrolier dans les années 1970, le secteur privé s’est très fortement endetté en dollars vis-à-vis de l’extérieur. Cette période, tout particulièrement les années 1976-1979, durant laquelle la dette externe a explosé, - elle a été multipliée par 5 en trois ans - a été baptisée période « d’endettement agressif ». La part des dette privées a nettement augmenté, avec des termes très défavorables : 75% de ces dettes avaient une échéance à moins d’un an, et 83% avaient été contractées à taux variables. Etant donné le contexte international (hausse des taux d’intérêt, diminution des prix du pétrole etc), le surendettement devenait à coup sûr insoutenable.

La sucrétisation

Les cercles détenant le pouvoir économique et politique en Equateur ont poussé le gouvernement à les soutenir financièrement pour assurer leur sauvetage, tandis que le FMI et la Banque mondiale poursuivant les intérêts des banques internationales, ont fait pression pour que l’Etat garantisse le paiement de cette dette privée. L’Etat a donc assumé la dette privée en changeant les obligations en dollars par des obligations en sucres, selon la parité et le taux d’intérêt fixés à la signature du contrat. Ainsi, les acteurs privés n’ont pas eu à supporter le coût de l’augmentation des taux d’intérêt et de la dévaluation du sucre.

Par le processus de sucrétisation, le gouvernement a repris à la charge de l’Etat la plus grande partie de la dette externe privée. C’est donc l’ensemble des Equatoriens qui a payé pour des acteurs privés qui s’étaient endettés de façon inconsidérée.

Le processus de sucrétisation a concerné 1 682,5 millions de dollars de dette du secteur privé.

Le secteur bancaire et cambiste local s’est approprié la dette et a sucrétisé sans contrôle exact de la Banque centrale.

Rien que du fait du taux de change, on estime qu’il s’agit d’un subside de l’Etat au secteur privé d’un montant équivalent à 1.300 millions de dollars. En effet, la plupart des prêts ayant été contractés pour un taux de change moyen de 25 sucres pour 1 dollar, la reprise par l’Etat s’est fait sur base d’un taux moyen de 63,55 sucres.

Ce mécanisme a été réservé à une élite : 3% des entités qui ont été sucretisées, représentant seulement 95 bénéficiaires, ont bénéficié de 75% du coût total. Bref il faut supprimer toute cette parenthèse) du montant total sucrétisé.

De plus, ce transfert de dette s’est opéré de façon indiscriminée, sans aucun contrôle. Ainsi, aucun mécanisme n’était prévu pour vérifier si les dettes en question étaient payées ou non. Les registres de la Banque centrale équatorienne rendaient compte seulement de l’enregistrement des dettes négociées sur le marché libre, et non de leur paiement. L’Etat a donc assumé des dettes fictives. Alors que le but annoncé de la sucrétisation était d’éviter la faillite des entreprises qui formaient l’appareil productif du pays, on peut être surpris de trouver dans la liste des bénéficiaires des clubs de l’élite nationale, comme Le Quito Tenis y Golf Club ou le Club de la Banque du Pacifique. Manifestement, la sucrétisation n’a pas servi les intérêts de la nation, mais les intérêts des grandes banques internationales et locales, et de l’élite économique et politique du pays. Comment justifier alors que le peuple équatorien, à travers son gouvernement, paye cette dette ?

On peut même aller plus loin et se poser la question de savoir pourquoi le secteur privé s’est endetté en dollars. N’existait-il pas suffisamment de sucres dans le secteur bancaire local ? La réponse est que le crédit en sucres, à savoir l’épargne interne, était plus que suffisant pour financer les besoins d’opérations et d’investissement fixe du secteur productif, professionnel et même de tourisme international.

Les crédits en dollars ont été des crédits d’exaction contre le pays, la Banque centrale et le secteur productif visant à aliéner le pétrole au bénéfice du secteur bancaire et cambiste local.

Ce sont donc des centaines de millions de dollars qui ont été incorporés au processus de sucrétisation sans bénéfice d’inventaire.

Cela a construit les fondements d’une incitation à l’investissement étranger direct |13|, différent de l’entreprise mixte qui existait jusqu’à alors et ceci a été particulièrement fort dans le secteur pétrolier. La loi des hydrocarbures a été réformée dans le sens de contrat de prestation de services qui est une vraie ouverture au privé sous le prétexte que l’Etat n’avait pas de ressources (diminuées par le service de la dette) et que, de ce fait, il ne pouvait pas participer. Cela a donc affaibli la société pétrolière nationale (CEPE), transformée ensuite en PETROECUADOR, avec des filiales d’exploration, d’exploitation, de transport, de raffinage et de commercialisation qui avaient le profil de sociétés anonymes prêtes pour la privatisation. Du fait des syndicats, il n’était pas évident pour ceux qui voulait la privatisation d’y arriver, c’est ainsi que PETROECUADOR a délibérément été sous-financée.

Conclusion sur la sucrétisation :

Socialiser les dettes privées des riches est un acte illégal, injuste et immoral. De ce fait, cette dette assumée par l’Etat doit être déclarée nulle. Une telle action constitue un acte criminel dans bien des pays créanciers, ce qui permet d’exiger simplement la nullité de cette dette et l’application des codes correspondants.

Le Plan Brady
C’est à l’initiative du gouvernement des Etats-Unis que le plan Brady a été mis en place à la fin des années 1980 dans plusieurs pays en développement en difficulté de paiement de leur dette. Il s’agissait alors de réduire le poids du service de la dette par une diminution du capital dû. Cependant, il s’agissait davantage de sauver les créanciers d’une dette largement impayable et dont la valeur sur le marché en Equateur ne dépassait pas 10% de sa valeur nominale. L’émission de bons Brady par l’Equateur en 1994 est donc réellement un processus de légitimation de l’ensemble de la dette commerciale, profondément illégitime.

Il faut rappeler les circonstances douteuses dans lesquelles a eu lieu cet échange. Le gouvernement équatorien avait suspendu le remboursement de la dette externe commerciale en janvier 1987. Cette suspension de paiement, qui a duré presque cinq ans, aurait permis à l’Equateur de demander la prescription de ces dettes devant les tribunaux de l’Etat de New York et de Londres. Mais en décembre 1992, soit peu de temps avant l’éventuelle prescription, est paru un décret exécutif par lequel l’Etat équatorien confirmait son statut de débiteur auprès des banques et renonçait à l’action devant les tribunaux. Cette décision prouve une fois de plus la collusion de certains membres du gouvernement avec les grandes banques, et le mépris de l’intérêt national. Certains journaux à l’époque ont d’ailleurs signalé que le Ministre des finances d’alors, Mario Ribadeneira, était lui-même détenteur de titres de la dette pour un montant de 300 millions de dollars.

Ainsi, alors qu’une partie de la dette aurait pu être purement et simplement impayée, les détenteurs du pouvoir ont choisi de renoncer à cette opportunité et ainsi ouvert la voie à l’échange de titres de la dette par des Bons Brady. En effet, le plan Brady avait seulement différé les problèmes de paiement, puisque les taux d’intérêt élevés ont à nouveau rendu le paiement de la dette insoutenable, obligeant l’Equateur à suspendre ses paiements au cours de l’année 1999. C’est la plus grave crise de l’histoire récente du pays.

Les bons Global
Entre 1980 et 2000 le taux de change est passé de 25 sucres pour 1 dollar à 25 000 sucres pour 1 dollar.

Pour y faire face, le 10 janvier 2000, le sucre est remplacé par le dollar : c’est la dollarisation. Elle est formalisée par la loi du 13 mars 2000 intitulée « loi de transformation économique de l’Equateur » organisée par le secteur bancaire et cambiste local. L’Equateur perd alors toute marge de manœuvre financière.

L’Equateur a alors été amené à négocier l’échange des bons Brady et Eurobons (bons émis en 1997 pour un montant de 500 millions de dollars avec une échéance de 5 et 7 ans) par des bons dits « Global » en 2000 pour un montant total de 5 750 millions de dollars. On en distingue 2 catégories :

- Les bons Global 12 concernent 1 250 millions de dollars sur un délai de 12 ans avec un taux annuel fixe de 12%.

- Les bons Global 30 concernent 4 500 millions de dollars sur un délai de 30 ans avec un taux d’intérêt de 4% en 2001, taux qui augmente de 1% par an jusqu’à atteindre 9% en 2006, puis de 2007 à 2030 avec un taux annuel de 10%.

Les conditions de cet échange, qui seront développées dans le 5e chapitre, ont une fois de plus été très coûteuses pour l’Etat équatorien. Une chose est sûre : au vu des différentes irrégularités qui ont jalonné le processus jusqu’à l’émission de ces bons, cette dette devrait être qualifiée d’illégitime, et ce à plus d’un titre : cette dette n’a pas servi l’intérêt national, sa gestion a été dictée par les intérêts d’un petit nombre, d’où la conclusion d’accords déséquilibrés aux conditions inacceptables.

Les dettes |14| contractées pour des projets dans les secteurs des mines, de l’agriculture et de la pêche.
Par exemple, concernant un projet de développement minier et de contrôle de l’environnement intitulé Prodeminca, mis en œuvre en 1993-1994, il s’agissait d’un projet financé à hauteur de 14 millions de dollars par la Banque mondiale et de 10 millions de dollars par la Suède et la Grande-Bretagne. Son but était de promouvoir les investissements privés pour le développement de l’exploitation minière.

Le projet Prodeminca comprenait la modification de la législation en matière minière. Deux lois (Trole I et II) sont venues créer les conditions du pillage des ressources par les multinationales (exonération des 3% des investissements ou de la production nette reversée à l’Etat, diminution du rôle du Ministère de l’Environnement, possibilité d’activité minière en zone protégée).

Un autre volet du projet visait à l’élaboration de cartes géochimiques, pour laquelle la prospection minière dans des zones protégées a été permise. Malgré un recours devant le Panel d’Inspection de la Banque mondiale, celle-ci n’a pas réalisé l’étude d’impact écologique pourtant obligatoire. La vente de ces cartes à des entreprises a été autorisée, et des compagnies ont d’ores et déjà des concessions dans des zones protégées.

Un autre programme sectoriel de 1994 dans le domaine de l’agriculture et de la pêche (Programa sectorial agropecuario - PSA), financé par la Banque interaméricaine de développement (BID), a eu pour conséquence les modifications de la législation agricole ainsi que le démantèlement du Ministère de l’Agriculture.

Ce programme a entraîné la mise en place en 1994 d’une nouvelle loi connue sous le nom de « loi de développement agricole » qui a fait de la terre un bien et non plus un droit, et compromet toute possibilité d’une nouvelle réforme agraire. Bien évidemment, cette réforme bénéficie aux grands exploitants des cultures intensives d’exportation, qui rachètent une grande partie des terres, et porte préjudice aux petits exploitants.

La Banque interaméricaine de développement (BID) a également financé, pour un montant de 15,2 millions de dollars, un autre programme dans le domaine agraire visant à la régularisation et à l’administration des terres rurales (Projet PRAT) devant aboutir à l’établissement d’un registre de propriété des terres. Or, ce programme a entraîné l’expulsion de paysans indigènes qui occupaient ces terres sans avoir de titre de propriété.

Par ailleurs, l’Equateur s’est dirigé vers la privatisation de l’eau d’irrigation, qui était un bien commun, via le prêt de 20 millions de dollars d’assistance technique du sous-secteur de l’irrigation (Projet PAT) financé par la Banque mondiale. L’introduction d’un tarif et du système de concession en fonction de la productivité a joué une fois de plus en faveur des grandes exploitations et au détriment des petits paysans.

Tous ces crédits ont sapé la souveraineté alimentaire de l’Equateur, en retirant aux petits et moyens agriculteurs l’accès aux ressources basiques que sont la terre, l’eau et les semences. La production agricole ne répond plus aux besoins des populations des pays, mais aux besoins des pays importateurs et ont eu de ce fait une incidence importante sur l’augmentation de la pauvreté.

2. PRETS INAPPROPRIES

Le projet “Jaime Róldos Aguilera” à objectifs multiples

Ce projet, dont la gestation remonte aux années 1950, a été impulsé par l’AID (Agence internationale pour le développement) et le Service de la Coopération interaméricaine à l’agriculture. Les études préparatoires ont été réalisées par la Commission d’Etudes pour le développement du bassin du fleuve Guayas (CEDEGE).

Ce projet d’un coût total de 1 638 millions de dollars, financé à 80% par des crédits externes, comprenait la construction d’un barrage, l’approvisionnement en eau de la ville de Guayaquil, la centrale hydroélectrique Marcel Laniado, le projet d’irrigation pour le bassin de la vallée du Daule, le transvasement vers la péninsule de Santa Elena, les services d’eau potable et d’égouts pour la péninsule.

En 1980, avant que ne débute la construction, l’étude de faisabilité de la BID mettait en avant une perte de 50 millions de dollars et malgré cela, elle a octroyé le crédit. En 2001, l’Université de Guyaquil a fait une nouvelle étude sur le projet déjà bien avancé et à identifié une perte de 130 millions de dollars. Dans d’autres études, Acción ecológica a découvert que l’Université de Guyaquil n’avait pris en compte que les bénéfices du transvasement et non ses coûts.

De cet énorme montant de 1.638 millions de dollars seuls 0,3% ont été destinés à la gestion environnementale et à la réparation des dégâts sociaux et environnementaux. Ces coûts sociaux et environnementaux se sont traduits par la dépossession des communautés de la péninsule de plus de 25 000 hectares de leurs terres et la production de méthane. Si l’on ajoute les dégâts environnementaux à l’investissement financier, le coût total s’élève alors à 4.000 millions de dollars |15|.

Les bénéficiaires du projet ont été les financiers, les constructeurs et les opérateurs. Les objectifs d’acheminent de l’eau n’ont pas été remplis lorsque l’on prend en compte que pour amener l’eau d’un côté, un tel projet provoque l’inondation de terres et l’assèchement de l’autre côté. Le projet n’a pas rempli les objectifs fixés. Alors que le projet était censé irriguer près de 44.000 hectares de la péninsule de Santa Elena, en réalité il en a irrigué un peu moins de 6.000 hectares.

3. CONDITIONS INACCEPTABLES

Un exemple parlant est le projet des CEM (Centros Educativos Matrices), dans lequel sont impliquées la Banque mondiale (prêt de plus de 100 millions de dollars) et la BID avec un financement très important pendant le gouvernement de Rodrigo Borja (1988-1992). Il s’agissait d’un projet organisé autour d’écoles centrales et d’écoles satellites. Pour ce projet, on a bien investi dans l’infrastructure mais pas du tout dans l’éducation, la pédagogie.

En dehors de la multiplication des plans, une autre caractéristique importante en matière d’éducation est la perte de pouvoir de l’Unesco, au bénéfice de la Banque mondiale. Celle-ci s’érige en premier conseiller mondial en matière d’éducation. Plus que de l’argent, ce sont des idées qu’elle prête, ou plutôt impose aux pays. Ces prêts-là sont redoutables car ils induisent un changement fondamental sur lequel il est difficile de revenir ensuite. Il s’agit par exemple des concepts de décentralisation, d’évaluation, de rémunération au mérite. La Banque mondiale, et la BID dans son sillage, imposent toujours les mêmes recettes, quel que soit le pays, des recettes de financiers, sans aucun lien avec le terrain et ses réalités. Les prêts sont conditionnés à la mise en place de certaines réformes favorables aux investisseurs internationaux et aux sociétés multinationales, notamment dans le domaine de l’éducation

C’est ainsi que, dans ce projet, la BM et la BID ont exigé la création d’unités exécutives, qu’elles pourraient plus facilement contrôler. Ces deux unités exécutives autonomes, la EB-PRODEC (BM) et PROMECEB (BID) respectivement permettent à ces institutions de contourner le Ministère de l’Education, avec l’engagement de personnel plus discipliné car touchant un salaire plus de 10 fois supérieur en dollars aux fonctionnaires relevant du Ministère de l’Education pour affaiblir celui-ci. Alors qu’un directeur de projet au sein du Ministère de l’Education gagnait entre 300 et 600 dollars, ceux des unités exécutives en gagnaient 6.500. Les projets menés dans ce cadre sont des vecteurs de la marchandisation de l’éducation impulsée par les institutions financières internationales.

4. CONDITIONS VIOLANT LE DROIT INTERNE

Le FMI et la Banque Mondiale veulent passer d’un Etat interventionniste et régulateur à un Etat minimal. Pour cela, ils ont créé la notion de « bonne gouvernance », qui leur permet d’insister sur la notion de démocratie alors que le but réel est de promouvoir la capacité pour un gouvernement de mettre en œuvre les mesures prônées par le FMI et la BM. Un « bon gouvernement » peut ainsi neutraliser les résistances sociales sans affecter la réforme néolibérale. On observe qu’il existe une opposition fondamentale entre un Etat réellement démocratique et un Etat dans lequel le gouvernement sacrifie sa population en adoptant des mesures d’ajustement structurel.

Pour augmenter la capacité d’exportation des pays emprunteurs et, de cette manière, garantir le paiement de la dette externe, le FMI a obligé les pays emprunteurs à dévaluer leurs monnaies (en violation de ce qui est stipulé dans le document constitutif du FMI). Ces dévaluations ont accéléré l’inflation et diminué les salaires, de ce fait les politiques d’ajustement du FMI ont elles-mêmes été à l’origine d’une profonde instabilité pour les pays emprunteurs.

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Notes

|1| Une grande partie des informations de cette étude sont tirées de rapports établis par la Commission d’audit instaurée en mars 2006 par le président de la République Palacio, la CEIDEX (Comisión especial de Investigación de la Deuda externa), qui a travaillé de juillet à décembre 2006.

|2| http://www.oid-ido.org

|3| Hugo Arias Palacios “Impacto económico, social y ambiental de la deuda soberna del Ecuador y estrategias de desendeudamiento” CEIDEX Tercer Volumen, août 2006.

|4| Idem, p.55

|5| Idem, p.33

|6| Idem p.34

|7| Benalcazar, E., “Deuda externa privada con la banca privada internacionalizada”, p.11, CEIDEX, 2e volume, décembre 2006.

|8| Idem, p.17

|9| Ibid

|10| Idem, p.20

|11| Ibid

|12| Pinto F., “Evolución de la normativa jurídica aplicable al endeudamiento público y su correspondencia con el marco constitucional, convenios y tratados internacionales y más estipulaciones legales”, décembre 2006

|13| Idem, p.48-49

|14| “Casos que vinculan la deuda externa con la generación de deudas sociales y ecológicas”, Varios autores, CEIDEX, Tomo 5, décembre 2006.

|15| Idem

Ce travail collectif a été réalisé par le CADTM en Juillet 2007, à la demande de AFRODAD. Les auteurs sont Benoît Bouchat, Virginie de Romanet, Stéphanie Jacquemont, Cécile Lamarque et Éric Toussaint.

Comité de lecture : Myriam Bourgy, Damien Millet et R

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