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7 avril 2013

L’affaire Cahuzac, le navet ultime

Sur SLATE

FRANCE
par Titiou Lecoq,
le 4 avril 2013

Il y a un moment où, devant la somme des «révélations» quotidiennes, on se dit «ah ah non, attends, mais pas possible, je comprends plus rien». Et soyons honnête, l’histoire de Jérôme Cahuzac est tellement incroyable que si c’était un scénario de film, il serait refusé par tous les producteurs, même JJ Abrams.  

Imaginons que le scénariste essaye de pitcher son histoire. Ça donnerait:

«Ça commence comme un film de Claude Sautet. C’est l’histoire d’un couple, Jérôme et Patricia, qui au bout de trente ans de mariage se sépare.

Les choses de la vie, de Claude Sautet, 1970.

C’est un couple de gens riches, alors forcément leur conflit va tourner autour du fric, tu vois. Elle, elle a peur de se faire flouer parce qu’elle sait qu’il garde une partie de son argent en Suisse. Du coup, en 2011, elle engage des détectives privés pour filer son mari. Ambiance film noir à la Melville et imperméables.

Le Samourai, de Jean-Pierre Melville, 1967*.

Elle sait qu’il y a magouille d’argent parce que c’est un pote à elle qui est aussi copain avec Marine Le Pen qui a ouvert le compte suisse de son mari.

– Attends, qu’est-ce que ça vient foutre là, l’extrême droite?

– Ah oui! Pour bien montrer les dérives de la société française, on a décidé que tous les personnages seraient proches de partis politiques. Pour pas être partisan, on a pris un peu de tout. Par exemple, le héros il est ministre dans un gouvernement socialiste. Mais le copain de sa femme, l’avocat spécialisé dans l’évasion fiscale, c’est un ancien du GUD et il est très proche de Marine Le Pen. D’ailleurs, avec le héros, ils ont formé un groupe le «Gud Business».

Tu trouves ça pourri comme nom? Ce sont des anciens militants d’extrême droite qui font des affaires les uns avec les autres. Mais dans une ambiance bonne enfant. Là on verrait bien une scène de marrade entre copains à la Vérité si je mens. Hein? Ouais, je sais que c’est des juifs. Mauvais goût? Je comprends pas. Du coup, quand notre héros se spécialise dans les implants capillaires... Hein? Mais quoi la vraisemblance?! Tu trouves pas ça vraisemblable qu’un mec spécialiste des faux cheveux devienne ministre du Budget? Bah qu’est-ce que tu veux que je te dise. T’as pas d’imagination mec, c’est tout. Bref, quand il commence à rajouter des cheveux sur la tête des gens riches (là, on voit bien une scène à la Nip/Tuck), et bah c’est ses potes du Gud business qui lui trouvent les clients.

Nip/Tuck, 2003/2010.

Comme j’aimerais que le film ait aussi une dimension internationale, j’ai rajouté des scènes où le héros avec ses potes du Gud business –quoi? ouais j’y tiens à ce nom, je le trouve cool– donc avec ses potes, ils investissent dans des mines au Pérou. Parce que le Pérou c’est sympa.

Me dis pas encore que c’est pas crédible. Ça existe ou pas le Pérou? Oui? Bah voilà, c’est crédible. Donc ils investissent dans leurs mines au Pérou en passant par une société appelée la Rumine (c’est joli ça comme nom, ça te va?) qui a été fondée par un autre mec du GUD. Ouais, c’est un peu centré sur l’extrême droite mais bon, la France c’est aussi ça.

– Après?

– Bah, on pensait révéler qu’en fait, la loi Evin qui interdit de fumer dans le métro, c’est lui qui l’a écrite. Parce qu’il est entré comme conseiller au ministère de la Santé en 1988. Oui, il est de gauche. Mais bordel, quelle invraisemblance? Ouais, il est socialiste et ses meilleurs amis viennent du GUD, so what? Mitterrand il était hyper pote avec Bousquet alors qu’ils étaient pas vraiment d’accord sur tout. Ok? Crédible maintenant?

Bon alors.

On fait une scène genre cinéma français des années 1970/80 avec des mecs en cols roulés marron qui clopent partout.

Vincent, Paul, François et les autres, de Claude Sautet, 1974.

Après avoir bossé au ministère de la Santé, le héros, il ouvre une boîte de lobbying pour l’industrie pharmaceutique parce que maintenant il connaît bien le sujet. Et puis comme ça, on montre que c’est pas très clair les liens entre les politiques et les industriels tu vois.

Le juge Fayard dit le Shériff, d’Yves Boisset, 1977.

Après, coupure temporelle. On met les images de Chirac et de la dissolution. Là, notre héros, il se présente aux législatives et il devient député. Oui, il a toujours sa clinique pour chauves avec sa femme. Mais il s’emmerde un peu. Ou alors il est trop stressé, on n’a pas encore tranché.

Bref.

Un jour de l’an 2000, il parle avec quelqu’un du compte en Suisse qu’un des potes du GUD Business lui a ouvert. Il lui dit qu’il a peur, que c’est pas hyper discret comme truc. Parce qu’il est quand même député et que ça la fout mal de faire de l’évasion fiscale. Mais là, gros coup de pas de bol, en même temps qu’il parle, son téléphone portable fait rappeler le numéro. Mais Cahuzac il s’en rend pas compte. Et à l’autre bout du fil, y’a un mec qui entend tout. SUSPENS, ironie dramatique.

Conversation secrète de Francis Ford Coppola, 1974.

Et après il est nommé président de la commission des finances. Hein? Oui, Sarkozy, il est Président mais c’est pas lui qui le nomme. Mais en même temps, Sarkozy il aime bien Cahuzac. Ou alors Cahuzac et Sarkozy ils ont des intérêts communs, genre ils savent des trucs l’un sur l’autre. A débattre lors de la prochaine version du scénar. Là, je te fais juste les grandes lignes.

Mais voilà, en 2008, on change de personnage. On suit Rémy Garnier, un ancien agent du fisc que ses collègues surnomment Columbo. Ouais, il porte un imperméable. Comme il a des problèmes avec sa hiérarchie, pour montrer qu’il fait du bon boulot, il leur donne un mémoire où il dit que Cahuzac, il a un compte en Suisse. Mais le dossier est mystérieusement enterré. Enfin, pas tout à fait parce que les détectives privés engagés par Patricia, la femme du héros, ils vont aller voir Columbo pour en savoir plus. Mais il se passe rien.

Inspecteur Columbo. 1968-1978 / 1989-2003.

Après, le héros devient ministre du Budget. Qu’est-ce que tu veux, il a un parcours atypique. Et il embauche comme responsable des relations extérieures une femme qui avant était la chargée de com de Liliane Bettencourt. Là, on hésite un peu à mêler l’affaire Bettencourt à tout ça. On verra plus tard.

Donc tout va plutôt bien pour lui à part qu’il s’engueule toujours sur l’argent avec sa future ex-femme. En plus, pour le divorce, elle choisit comme avocate la sœur de Jean-François Copé. C’est un peu les boules.

Mais attention, grosse surprise. Le mec qu’il avait appelé sans faire exprès en 2000 et qui avait entendu sa discussion sur son compte en Suisse et ben il avait enregistré l’appel téléphonique. Je sais pas, disons que c’était un message sur son répondeur parce qu’en vrai le mec avait pas décroché.

Bref. Il a gardé le message du répondeur pendant 12 ans. NON, IL A PAS changé d’opérateur pendant 12 ans. Tu cherches la merde ou quoi? Et l’enregistrement est donné à un site d’infos qui le publie.

Du coup, y’a une enquête, tout ça. Là, j’imagine une scène très forte où le héros clame son innocence à l’Assemblée nationale.

Le Président, d’Henri Verneuil, 1961.

Sauf que finalement, il apprend que la Suisse va révéler la vérité. Ça, ça te dérange pas non? Suisse/vérité? Ok. Et là, c’est l’horreur. Le cauchemar. Je vois une scène un peu comme dans L’Adversaire. Et finalement, il avoue tout sur son blog. Parce que je t’ai pas dit, mais il a un blog, avec son nom de domaine tout ça. Et tout le monde le lâche. Il est exclu du PS. Même ses potes de sa loge de francs-maçons le laissent tomber.

Quoi ça sort d’où? Bah, on montrera avant une scène où il devient franc-maçon. T’as un problème avec les francs-maçons aussi? Sa vie est finie alors que c’est que le début de l’enquête. Les juges ont même pas encore découvert d’où venait son argent –ni exactement combien de fric ça faisait.

Y aurait aussi une scène où il fait du vélo avec Drucker.

Le Grand Blond avec une chaussure noire, d’Yves Robert. 1972

Histoire de mettre aussi les médias. Mais bon, on n’est pas encore sûrs, on a peur que ça fasse beaucoup.

Attends, comment ça «peu crédible»? Nan mais tu comprends pas. C’est pas un navet, c’est la France. A partir du divorce d’un mec, on raconte TOUS les problèmes du pays. C’est génial, non?»

Titiou Lecoq

* Une version précédente de cette légende avait daté le film de Melville en 1970. Faute impardonnable. Mais corrigée. Retourner au pitch

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