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9 avril 2013

«Offshore leaks»: le rôle des intermédiaires au grand jour

Sur MEDIAPART

 

Le scandale des paradis fiscaux est en passe de devenir mondial. Au fur et à mesure que les différents journaux publient une partie de la somme gigantesque de documents (plus de deux millions) rassemblés par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), l’ampleur des trous noirs de la finance devient de plus en plus impressionnante. (La quasi-intégralité des articles publiés dans la presse internationale est disponible en anglais sur le site de ICIJ). Pas un pays n’est épargné.

Des noms, de plus en plus de noms émergent. De ceux qui avaient plutôt l’habitude d’apparaître dans les revues sur papier glacé vantant la vie des milliardaires ou de figurer parmi les personnes les plus influentes dans le monde. Du milliardaire Gunter Sachs à Jean-Jacques Augier, ancien trésorier de la campagne de François Hollande, en passant par l’ancien ministre des finances mongol, ou la famille du président d’Azerbaïdjan, la liste semble interminable. On y trouve aussi nombre de personnes riches qui, voulant échapper au fisc, se sont fait voler comme au coin d’un bois par des escrocs leur vantant les mérites des paradis fiscaux, s'évaporant avec l’argent, comme le raconte un des articles du Washington Post. « Plus de 100 000 personnes dans 170 territoires sont concernées », rappelle le Guardian dans la présentation de sa série.

Mais cela n’est qu’un tout petit aspect du problème. Les entreprises, les sociétés financières, les hedge funds et les fonds d’investissement sont les grands utilisateurs des paradis fiscaux. Ils connaissent sur le bout des doigts les méthodes pour échapper à l’impôt, faire circuler l’argent de structure offshore en structure offshore pour le mettre à l’abri des regards. L’opacité et le secret permettent toutes les pratiques inavouables, les détournements, les corruptions qu’officiellement, ils se sont engagés, charte déontologique à l’appui, à bannir.

Le plus grand mérite des révélations de l’ICIJ est de mettre en lumière le rôle des intermédiaires. Banques, avocats, notaires, conseillers fiscaux, auditeurs, experts-comptables, c’est une véritable industrie qui travaille au service des trous noirs de la finance. Tous ces professionnels ont pignon sur rue, entendent afficher une parfaite honorabilité. Mais dans les arrière-cours, ils emploient des escouades de salariés dont la mission est de tricher, truquer, blanchir l’argent sale, inventer les montages les plus sophistiqués pour faire évader l’argent, tout en semblant afficher la plus stricte légalité.

Le Monde a révélé le rôle obscur de certaines filiales de BNP Paribas et du Crédit agricole dans les îles Vierges britanniques et dans les îles Cook, servant de havres pour les entreprises fraudeuses. Sur son site internet, la branche de gestion de fortune de BNP Paribas n’hésite pas à vanter son savoir-faire dans l’instauration de trusts ou de fondations dans les paradis fiscaux. C’est dire le sentiment d’impunité qui règne dans le monde bancaire sur le sujet.

 

Une industrie autour des paradis fiscaux

Le Süddeutsche Zeitung et la chaîne NDR ont mis au jour auprès du public allemand les pratiques de la Deutsche Bank, déjà au cœur de nombreux scandales. Sa filiale à Singapour a aidé à créer et à gérer quelque 309 sociétés offshore ou trusts aux îles Vierges britanniques pour le compte de ses clients, selon les documents révélés. La banque, elle aussi, met en avant ses mérites sur son site internet dans la gestion des grandes fortunes mises à l’abri dans les paradis fiscaux.

La Suisse n’est pas en reste, naturellement. « Après UBS et Crédit suisse, c’est au tour des banques cantonales d’être pointées du doigt par les révélations des journaux Le Matin Dimanche et la SonntagsZeitung », s’inquiète Le Matin« Les banques cantonales de Lucerne, Zurich (ZKB), St-Gall et des Grisons sont ainsi citées dans des documents ou e-mails. Ces fichiers montrent que de l’argent a été transféré de sociétés offshores vers des comptes des banques de Lucerne et de Zurich », écrit le quotidien suisse. 

De multiples professions gravitent aux côtés des banques pour aider à l’organisation de cette fraude planétaire. Le Matin à nouveau décrit le rôle d’un avocat qui a aidé pendant plus de trente ans à monter des fiducies ou des trusts dans les sociétés offshore. Selon le président de l’association suisse des avocats cité par le journal, 200 à 300 avocats sont spécialisés dans ces montages opaques dans la confédération helvétique. « Mais un peu comme dans les banques, un changement de paradigme a aussi lieu dans notre profession. Le vrai choc pourrait toutefois se produire lorsque l’un de ces avocats se fera arrêter en Italie ou en Espagne, et se mettra à table. » Tout un programme.

Ces « professionnels » des trous noirs de la finance ont un goût immodéré pour la complexité, l’opacité, et le juridisme. Les sociétés écrans s’empilent, voyagent d’un paradis fiscal à l’autre, ce qui rend plus difficile la traque de l’argent, mais permet aussi à chaque étage du montage, à tous ces « spécialistes » de prélever honoraires et commissions.

Le Huffington Posta publié un document de BNP Paribas Wealth management (gestion de fortune) en Suisse réalisé pour l’information de ses clients. Tout le jeu consiste à masquer la véritable identité du bénéficiaire. L’exemple pris est celui d’une grande fortune ukrainienne. Selon les recommandations de la banque, ce client crée d’abord un trust dans les îles Vierges britanniques, qui investit dans une société maltaise. Celle-ci prend 30 % d’une holding de droit néerlandais, aux côtés d'une autre société néerlandaise, certainement détenue par la même personne mais au travers d'un autre véhicule. 

Cette société néerlandaise investit à son tour dans une holding chypriote avant de ramener l’argent en Ukraine. Ainsi plus personne ne sait quel est le véritable bénéficiaire. Tout l’argent peut s’évaporer libre de taxes, les paradis fiscaux n’ayant été que des escales de transit de l’argent reparti très vite vers d’autres cieux.

 

Les paradis fiscaux au cœur de l'Europe

Mais ce que révèle aussi ce document, c’est l’importance des paradis fiscaux au cœur de l’Europe. Pas moins de trois pays européens, membres de la zone euro, participent à ce montage. Il pourrait y en avoir plus. Entre l’Irlande, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Autriche, le Luxembourg, Malte, la Lettonie, la Lituanie, Chypre, l’espace européen est mité par les trous noirs de la finance. Les récentes déclarations sur Chypre et la fin de l’économie casino ne doivent pas faire illusion. L’Europe ne s’est jamais formalisée du paradis fiscal chypriote, accepté dans la zone euro en 2008, tant qu’il n’a pas rencontré de difficulté. En dépit des belles déclarations d’intention, le fonctionnement des paradis fiscaux n’a jamais été remis en cause par l’Union européenne, bien que leur présence massive et non régulée mine le projet européen, détruit son économie et appauvrit les populations.

L’effet de souffle provoqué par ces différentes révélations oblige les différents responsables à réagir. La commission européenne s’est émue ce lundi de la résistance de l’Autriche à lever son secret bancaire (lire notre article). Sentant le vent du boulet, le ministre luxembourgois des finances, Luc Frieden, a déclaré que le grand-duché étudiait une levée au moins partielle du secret bancaire. De son côté, le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble dénonce une « coopération internationale laborieuse » pour venir à bout des paradis fiscaux et promet de renforcer les règles allemandes, en attendant de mettre à nouveau la question à l’agenda européen.  

Sous la pression des pouvoirs publics et de Berlin, le Crédit suisse a annoncé un durcissement de ses règles, au moins à l’égard de l’Allemagne. À l’avenir, a-t-il prévenu, il n’accepterait plus les clients allemands qui ne prouveraient pas qu’ils sont en parfaite conformité avec le fisc de leur pays. Dommage : on n’a pas entendu que cette mesure serait étendue aux clients français. Question de rapport de force, peut-être ?

Le gouvernement britannique se retrouve aussi sur la sellette. Dans un article très sévère,le Guardian pointait la responsabilité écrasante de la Grande-Bretagne dans les processus d’évasion fiscale : les îles Vierges britanniques sont sous la responsabilité de la couronne. Il pressait le gouvernement d’agir pour en finir avec ce scandale. Pour la première fois, le premier ministre britannique, David Cameron, interrogé par plusieurs journaux européens, a dû répondre sur cette question : « Nous estimons qu'il y a une série de principes de transparence, d'échange d'informations que nous pouvons promouvoir au niveau du G8 comme du G20 tout en encourageant nos territoires d'outre-mer et d'autres, dont nous avons la responsabilité, de s'y joindre aussi. C'est un bon agenda », a-t-il répondu. Autant dire que le gouvernement britannique n’est pas pressé d’agir.

C’est la seule question qui compte, après les révélations de l’offshore leaks. Au-delà des déclarations offusquées, y a-t-il cette fois une vraie volonté politique de s’attaquer à ces trous noirs de la finance, qui sont devenus des cancers pour les pays ?

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G
Cela fait plaisir de constater que ces foutus secrets son enfin révélés. <br /> <br /> Même si les faits donnent envies de vomir.<br /> <br /> Merci aux journalistes et aux blogueurs qui nous en informent.
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