Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Visiteurs
Depuis la création 1 378 953
Newsletter
30 octobre 2014

L’Institut kurde de Paris inquiet à l’heure de la bataille de Kobané

Sur MEDIALIBRE

L’Institut kurde de Paris inquiet à l’heure de la bataille de Kobané

27 octobre 2014 

Frédérique Le Brun

Photos : Frédérique Le Brun

Crédit photo : Frédérique Le Brun

Haut-lieu de la culture kurde au cœur du Xe arrondissement, l’Institut kurde de Paris voit sa mission patrimoniale passer au second plan quand une actualité majeure surgit. À l’heure où les Kurdes de Kobané livrent une bataille des plus médiatisées contre les djihadistes de l’État islamique (EI), visite rue Lafayette, où, en ce vendredi 10 octobre, chacun garde les yeux tournés vers la Syrie. 

Installée dans la bibliothèque du petit immeuble où loge l’Institut kurde depuis trente ans, Sandrine Alexie épluche les dépêches AFP et Reuters et surveille les réseaux sociaux. En charge du « plus important fonds documentaire kurde du monde occidental », la documentaliste a délaissé ses fonctions habituelles : à Kobané, au Kurdistan de Syrie, les combattants kurdes du PYD défendent la ville assiégée par l’organisation djihadiste de l’État islamique (EI).

 

Le PYD, ou Parti de l’union démocratique, est affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan turc (PKK), considéré comme terroriste par la Turquie, les États-Unis et l’Otan.

Une colonne de fumée s’élève

« Certains journalistes, postés en Turquie face à Kobané, sont en contact téléphonique avec des Kurdes restés dans la ville. Ils nous livrent des informations de première main », explique-t-elle. « Tout le monde prétend combattre l’EI mais personne ne veut le faire de la même façon, et tous s’empêchent mutuellement d’agir, en raison de leurs programmes contradictoires. » Son regard tombe sur une photo postée sur Twitter. Une colonne de fumée s’élève d’un bâtiment bombardé par l’EI. « Appeler les Kurdes de Kobané à résister jusqu’à la mort n’était pas une bonne stratégie. L’EI serait tombé un jour, et les Kurdes seraient revenus. Là, ils vont se faire massacrer », déplore la documentaliste.

Sandrine relaie une dépêche AFP sur le compte Twitter de l’Institut. En ce 10 octobre, le QG de l’armée kurde à Kobané vient de tomber aux mains des djihadistes. Chaque avancée dans la ville s’accompagne d’un cortège de viols et de décapitations, et accentue l’inquiétude du petit microcosme de cette fondation dédiée au peuple kurde.

Pas d’intervention de la communauté internationale

À l’étage du dessus, Ridvan, le webmaster, les traits tirés, témoigne de cette tension : « Ce qui se passe ne nous laisse pas tranquilles. De plus, notre site subit des tentatives de piratage qui viennent de Turquie. » À ses côtés, Hassan, graphiste, suit les fils d’information. « Tu as vu ?, Sky News Arabia annonce qu’en face de Kobané, la police turque a tiré sur les manifestants et tué douze personnes. » Ridvan soupire et cherche la dépêche sur Internet. Ensemble, ils font le tour du Net en kurde, arabe, turc, anglais et français. « C’est très grave ce qui se passe, commente Hassan. Pourquoi la communauté internationale a-t-elle bougé en Irak et pas là ? » demande-t-il, faisant allusion aux frappes américaines qui ont contribué à stopper l’avancée de l’EI aux portes d’Erbil, au Kurdistan d’Irak, en août dernier. « On a l’impression que l’histoire se répète tout le temps. Ça fait mal de voir qu’on est abandonnés », conclut-il, les yeux rivés sur son écran.

Des Kurdes syriens sans armes

À quelques mètres de là, dans un petit bureau aux murs recouverts de tapisseries orientales, Joyce Blau, professeure de kurde à la retraite, assure le secrétariat en sus de sa tâche de trésorière de l’Institut. Elle, qui a consacré sa vie à la culture kurde, avance les affaires courantes tout en exprimant son affliction. Vers 17h30, Kendal Nezan, président de l’Institut, revient d’une journée marathon sur les plateaux de télé. Il fait le point avec Joyce. « RTL m’a demandé mon sentiment. J’ai répondu que c’était une honte pour la communauté internationale d’assister à ce nettoyage ethnique, raconte-t-il d’une voix fatiguée mais déterminée. On assiste à cela en direct parce que c’est près de la frontière, mais ça se passe aussi ailleurs. » Dirigeant l’Institut depuis sa création, Kendal poursuit une mission : « Nous vivons au diapason des Kurdes en détresse. Nous essayons de donner une voix à ces populations sans voix. »

Kendal Nezan, président de l’institut, revient d’un marathon médiatique d’une journée. Au premier plan, Joyce Blau, trésorière de l’Institut, professeure de kurde à la retraite. Crédit photo : Frédérique Le Brun.

Kendal condamne l’attitude de la Turquie, qui empêche les combattants kurdes massés à sa frontière de rejoindre la bataille. Il n’épargne pas non plus celle des pays occidentaux, qui refusent de livrer des armes aux Kurdes de Kobané, sous prétexte qu’elles pourraient un jour être utilisées en Turquie par les militants du PKK. [NDLR : La situation a changé depuis que ce reportage a été réalisé, la Turquie ayant finalement accepté de laisser repartir combattre en Syrie les Kurdes de Kobané qui s’étaient réfugiés sur son sol].

« On aurait pu leur donner des armes pour qu’ils se défendent. Ce n’est pas avec ça qu’ils auraient attaqué la Turquie. Ou alors, c’est qu’elle serait bien faible », ironise-t-il. Quelle issue voit-il à ce nouveau drame ? « Toutes les histoires ont une fin, mais nous on ne la verra pas cette fin, c’est tout », lance-t-il, pragmatique.

Il est 18 heures. Hassan part. Il croise Kendal sur son chemin. « Tu es joignable, ce week-end ? » demande le président. « Tu sais bien, on est toujours sur le front. »

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Derniers commentaires
Archives
Publicité