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25 septembre 2011

Un Bel inconnu premier patron de gauche du Sénat ?

Sur rue 89

 

 En cas de victoire de la gauche dimanche, le « hollandais » Jean-Pierre Bel est le favori à la présidence de la chambre haute. Portrait.

Est-ce qu'on peut diriger le Sénat comme un village-vacances ?

La question n'est pas absurde : on est face à l'homme qui, en cas de victoire de la gauche aux élections sénatoriales ce dimanche, est le favori pour accéder à la présidence de la chambre haute six jours plus tard.

Il s'appelle Jean-Pierre Bel, il a 59 ans (un gamin), il est socialiste, sénateur de l'Ariège et oui, il a dirigé un village-vacances. Il sourit et interroge à son tour : « Est-ce qu'on peut diriger le Sénat comme un cabinet vétérinaire ? »

La réponse n'est pas absurde : l'actuel occupant du plateau, l'UMP Gérard Larcher, est un ex-véto.

Par cette pirouette, Bel signifie deux choses. Il ne se sent pas moins légitime que le maire dodu de Rambouillet pour devenir le deuxième personnage de l'Etat. Et considère que « tout ce qui a jalonné votre existence est utile pour un poste comme celui-ci » – le village vacances comme le reste.

 

« Oreille à moitié arrachée »

Bel a tour à tour été chargé de cours en fac, directeur d'office de tourisme, responsable du développement d'une station de ski, pisciculteur… Principe de fonctionnement général : il fait bon accueil au hasard, le favorise éventuellement (les manœuvres et les calculs ne sont pas interdits) et se laisse tranquillement porter par l'existence.

C'est la manière qu'il a trouvée de ne pas entrer dans une impossible concurrence avec ceux qui l'ont précédé : des êtres qui se sont montrés exceptionnels dans des circonstances exceptionnelles.

Au sommet de son panthéon personnel, deux résistants : sa tante Nanou, agent de liaison pendant la guerre, qui a fini « officier des FFI », et son père, qui n'a jamais voulu « exhiber » sa bravoure :

« Il a fallu, des années après, que je voie des gens arriver chez moi l'oreille à moitié arrachée pour que je comprenne qu'il s'était passé quelque chose. »

Trois fois, dans son parcours public, le chemin qui se déroule devant Bel ne lui convient pas. Trois moments – 1978, 1998, 2008 – où il pose un acte de volonté, tranche un conflit intérieur et devient ce qu'il est.

Jean-Pierre Bel au Sénat le 8 septembre 2011 (Audrey Cerdan/Rue89).

 

Action ou incantation ?

1978 : il plaque tout. La ville, son poste à la fac et la LCR, qu'il fréquente depuis 1968. Il y est venu « par une espèce de romantisme révolutionnaire, pas vraiment par idolâtrie de Léon Trotski » et par sa proximité avec les mouvements de soutien aux antifranquistes. Surtout, « c'était là que les choses se passaient, je n'aurais pas eu l'idée de me retrouver ailleurs ».

A la fin des années 70, il a le sentiment d'étouffer. La « discipline de vie exigée par l'organisation » et la « forme de radicalité » professée lui apparaissent « totalement à côté de la plaque ». Il rumine alors :

« C'est bien joli d'être dans l'incantation permanente mais si on essayait de changer la vie des gens, ce serait pas mal. »

Il s'installe à la montagne, à Mijanès, la commune de sa femme et du fameux village-vacances – « une opération de tourisme social montée par la fédération des œuvres laïques ». Ski de fond et écologie pour 320 lits.

En 1983, survient « un imprévu » : « Hé toi, tu as fait des études, tu es pas con, tu pourrais conduire la liste aux municipales », murmure-t-on à son oreille. Les Mijanésiens sont moins de cent mais, après sa conversion au réformisme, ils plongent Bel dans « la politique active ». Il prend sa carte au PS.

 

Beau-papa préside le conseil général

Dans son récit (« les gens étaient contents de voir un jeune »), Bel omet de mentionner le fait que beau-papa est élu dans le canton et qu'il appellera son gendre à ses côtés, à Foix, quand il deviendra président du conseil général de l'Ariège.

Avant lui, deux hommes ont compté. Son père, un commercial cégétiste, licencié huit fois, qui l'a élevé dans le culte de la Résistance à Toulouse. Et son oncle, chez qui il a vécu à partir du collège, un avocat de Castres « socialisant », qui lui fait découvrir la culture bourgeoise.

Après lui, deux hommes aussi. Lionel Jospin (Cintegabelle n'est pas loin, les années trotskistes non plus), qu'il rencontre en 1986 et dont il sera le directeur de campagne pour les régionales de 1992.

Depuis, l'ombre amicale de « l'austère qui se marre » n'a cessé de planer sur son parcours. Ce qui lui donne l'occasion de se donner des airs. Quand on le rencontre, Bel fait des mystères d'une chemise en papier libellée « de la part de Lionel Jospin ». Que contenait-elle ? La copie d'une interview de l'ancien Premier ministre.

Vient enfin François Hollande, qui, à la suite de Jospin, lui confie des responsabilités au sein du parti. Bel le soutient aujourd'hui dans la primaire.

 

Oser le combat ou se préserver ?

1998 : c'est le deuxième moment décisif. Et son premier « vrai combat ». Il est premier secrétaire fédéral du PS ariégeois et décide de reprendre à la droite le canton de Lavelanet. La ville est sinistrée par la crise du textile, la gauche locale aussi :

« Mes amis me disaient de ne pas y aller. Que j'étais en train de gâcher mes chances pour les sénatoriales. J'étais à peu près assuré de perdre et j'ai voulu nier ce qui apparaissait comme une fatalité. »

Il reconquiert le canton, est élu au Sénat dans la foulée, puis, en 2001, prend la ville :

« Vous ne pouvez pas savoir comme je suis fier. Cette ville était lourdement endettée, j'ai réussi à rétablir ses comptes tout en faisant beaucoup d'investissements. »

Un peu plus et le soleil d'Austerlitz s'installait à Lavelanet, juste au-dessus du musée du textile et du peigne en corne.

Au Sénat, il devient président du groupe socialiste quand Claude Estier, l'ami de Jospin, prend sa retraite en 2004. Il ménage les sensibilités des uns et des autres et, comme il n'est pas très doué pour l'éclat, laisse à ceux qui aiment briller l'occasion de le faire.

 

Mettre ses principes entre parenthèses ?

Pressenti pour entrer au gouvernement en cas de victoire de Ségolène Royal, pour qui il avait rédigé un rapport sur les institutions, Bel déchante en 2007.

Réélu au Sénat en 2008, il a besoin d'un nouvel objectif. Le plateau en est un, exaltant. Par tactique, Bel va quelque peu oublier ses principes. Lui qui s'est appliqué avec orgueil le non-cumul des mandats, devient le défenseur des cumulards face à Martine Aubry.

La première secrétaire du PS est décidée à « rénover » le régime des mandats dès 2011. Bel soutient que cela reviendrait à se priver de nombreux candidats bien implantés et ainsi affaiblir les chances historiques de la gauche de l'emporter (« Nous avons remporté tous les scrutins locaux, nous n'aurons jamais plus de configuration aussi favorable »). Bref : la réforme peut attendre 2012.

 

 

« Un opportuniste qui a été de tous les courants du parti »

Aubry finit par céder à la realpolitik. Depuis, elle raconte que « Jean-Pierre Bel n'est pas l'homme de la situation. C'est un opportuniste qui a été successivement de tous les courants du parti. »

A l'instar du camarade Hollande, Bel prétend que « la situation » présente a justement besoin d'hommes comme lui. Il veut poursuivre « la démonstration qu'on peut encore être un individu normal, un peu modeste, avec des origines qui ne sont pas exactement celles du triangle des Bermudes [sic] du cœur de Paris, et accéder aux responsabilités ». Il ajoute :

« Depuis deux siècles, j'ai compté, il y a eu 28 présidents du Sénat. On trouve beaucoup d'inconnus, beaucoup de gens qui semblaient ne pas avoir spécialement d'expérience. »

Il dit ça sans arrogance. Il est tout aussi placide, quelques instants plus tard, quand il confie qu'il vient de refaire sa vie avec une jeune Cubaine, qu'ils ont « une petite fille d'un an », et qu'il a « de plus en plus envie de [s']ouvrir au monde ». Un échec ne serait pas un drame.

► Article initialement publié le 21/09/2011.

Photo : Jean-Pierre Bel au Sénat le 8 septembre 2011 (Audrey Cerdan/Rue89).

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